Dans le cadre du prochain Congrès annuel de l’AQPF (Association québécoise des professeurs de français) ayant pour thème Délier la langue, je coanimerai le 21 novembre 2013 avec Nathalie Couzon l’atelier #305 rattaché au 4e axe de programmation, soit Délier la langue pour le plaisir, destiné à mettre en évidence l’apport des contraintes inspirées de l’OuLiPo pour libérer la créativité des élèves tout en cernant l’intérêt de l’écriture collaborative et interactive, les avantages du resserrement de l’axe de lecture-écriture, et la place incontournable de la nanolittérature en didactique du français. Nous démontrerons que Twitter, Facebook, WordPress ainsi que d’autres ressources en ligne peuvent s’inscrire dans une perspective culturelle et de connectivité accrue. Nous verrons comment le fait de jouer à plusieurs avec les matériaux langagiers rattachés au lexique et à la syntaxe peut mener au dépassement de soi, au sentiment de compétence scripturale et à l’amour de la langue.
Jusqu’à présent, seuls des adultes intéressés ont accepté de relever spontanément sur Twitter les défis proposés bien que des transpositions didactiques aient déjà eu lieu dans certaines classes autant au Québec qu’en Europe. Voici pourquoi nous vous offrons dès à présent d’expérimenter avec vos élèves des activités d’écriture littéraire de brève durée comportant des contraintes oulipiennes. Si vous désirez nous faire parvenir quelques exemples de productions d’élèves avant le 4 novembre 2013, nous pourrons volontiers les intégrer à notre présentation. En nous permettant d’accéder à du matériel authentique que nous pourrons présenter aux participants lors du Congrès de l’AQPF 2013 vous pourrez certainement alimenter nos réflexions communes et nous vous en remercions.
FRAGMENTS LITTÉRAIRES ET JEUX TEXTUELS
Parmi les activités rédactionnelles possibles, on peut se référer sans hésiter à Twittérature, formes brèves et contraintes bénéfiques. Certes ce relevé n’est pas exhaustif mais il peut contribuer à susciter un grand nombre d’ activités porteuses. Voici cependant un relevé catégoriel pouvant s’avérer utile dans l’immédiat:
1- Série de lipogrammes : Il s’agit de se passer systématiquement de certaines voyelles ou consonnes pour n’en retenir que quelques autres. Il importe toutefois de tenir compte de la fréquence d’apparition des lettres en français, car il est plus difficile de se passer du E que du O. Par exemple le twitteroman collectif Tourbillon témoigne en six chapitres de la disparition de la voyelle E et peut témoigner de la vitalité renouvelée de ce genre d’histoire produite en collaboration (voir à cet égard Réflexions subséquentes en guise de bilan).En 2011 à l’occasion d’un précédent congrès de l’AQPF, nous sommes d’ailleurs revenus sur cette expérience déterminante : Retour sur le twitteroman sans E.
Dans le même ordre d’idée, l’envers du lipogramme est constitué du recours à certaines lettres qui deviennent alors privilégiées, ce qui donne …
– du monovocalisme, par exemple en E, celui qui semble le plus facile en raison de sa haute fréquence, comme dans Effervescences ou nettement plus difficile s’il est demandé en A-I-O-U. Dans Textique et jeux textuels l’intérêt de ce genre de jeux est mis en évidence.
– du bivocalisme en AE, EU, EI et EO (uniquement 2 voyelles) comme dans les textes collaboratifs Passages, Murmures, Ivresse et Osmose. Des réflexions à l’égard du bivocalisme apprivoisé en éclairent les enjeux rencontrés.
– du trivocalisme en AEI, AEU, IUE (comportant uniquement 3 voyelles) comme dans Images, Aperçus, Lignes de fuite. Ces textes collectifs ont été élaborés de manière interactive en twittérature collaborative dans une perspective semblable à celle vécue sur Facebook par des participants inscrits dans les groupes d’écriture littéraire de Strofka, une expérience décrite dans Un bien étrange lipodrome.
2 – Série de tautogrammes : Cela consiste à ne retenir que 1-2-3 lettres et faire en sorte que tous les mots d’un texte commencent par l’une d’entre elles. Pour ce faire, il est avantageux de recourir aux banques alphabétiques de mots en ligne telles que celles des mots en D ou des mots en M pour élaborer un texte semblable à Dis-moi donné en exemple dans Ferments de récits et béquilles textuelles. Des textes littéraires peuvent ainsi être produits en équipe à partir de tautogrammes simples, doubles ou triples. On peut également décider d’autoriser des connecteurs et mots-liens à l’extérieur de cette contrainte tautogrammatique comme ce fut le cas dans Bizarres destinées (tautogramme en BD) ou dans Tribulations parallèles (tautogramme en TP). Dans Scriptures, textures et tautogrammes, l’intérêt de ce genre d’écrit littéraire a été mis en relief.
3- Série d’alternances: la contrainte de l’Okapi vise une alternance voyelle-consonne dans les mots, entre les mots et entre les phrases, ce qui donne des textes zébrés tels que Ludovic. Des réflexions okapiennes ont pu être émises à la suite de la prise en compte de cette contrainte. Le principe d’alternance peut aussi se vivre au niveau des scripteurs. À cet égard, on peut s’inspirer des histoires en 3 mots (les 3 Word Story) où il s’agit à tour de rôle de poursuivre une histoire en chaîne en se préoccupant ou non de continuité narrative.
3- Série de particularités: Par exemple, la contrainte du prisonnier ne retient que les lettres sans hampes ou jambage pour produire des textes en forme de rubans comme Évasion. Cet écrit collaboratif a donné lieu à des réflexions évasives. On peut aussi ne retenir que d’autres sortes de mots ayant une particularité spécifique. Par exemple des listes de mots accentués, ou plus précisément des mots comportant uniquement des accents circonflexes comme dans le texte Si le bâtiment inclus dans le billet Ferments de récits et béquilles textuelles.
Idées issues des interactions entre les élèves et les matériaux langagiers
Dans tous les cas, le recours aux divers dictionnaires de synonymes en ligne comme Reverso, aux généreuses pages thématiques de Wikipédia, aux nombreuses listes d’adjectifs ou de noms de toutes sortes sur le Web peut contribuer à enrichir significativement le lexique et à faciliter l’énonciation. Dans une entrevue accordée l’année dernière à Café pédagogique, l’intérêt de ce genre de projets d’inspiration oulipienne a d’ailleurs été davantage cerné au plan de son intérêt pédagogique.
Rédiger des textes brefs à l’heure des réseaux sociaux invite à explorer l’écriture collaborative de diverses manières et c’est tant mieux si en stimulant leur créativité on peut en même temps outiller les élèves au plan de la syntaxe et du lexique en raison des incapacités de dire et de la nécessité de dire autrement qui dérivent de l’utilisation de ce genre de contraintes inspirantes.
* Ce titre réfère directement au billet de Nathalie Couzon sur son blogue Randonnée scripturale où figure une liste d’activités et des données complémentaires.