IMAGES, APERÇUS, LIGNES DE FUITE : le trivocalisme en Twittérature collaborative


IMAGES

L’image est à interpréter et génère des idées initialement imprévisibles. La pensée s’affine en périphérie, même si elle ne  dépend pas des pixels. Adam se disait cela en attendant sa bien-aimée. L’attente fait en effet partie des délices liminaires. Ils avaient décidé de se faxer le matin l’image trahissant les sentiments ressentis en se levant. Mais les images matérielles trahissaient les images immatérielles. Ils étaient araignées tissant de rive à rive les liens sensibles des rêves infinis.

Les amants de passage se fichent des clichés. Ils s’enferment sans hésiter dans le dicible éclaté. Ils ne recherchent pas nécessairement la visibilité, mais ne cherchent pas à l’éviter davantage. Ils avaient décidé de revivre en 2.0 le flirt initial et de revamper la garden-partie du paradis, reinette et serpent dans le kit. Ève estime Adam ringard et Adam réplique à ses invectives perfides : Geekette ! Inepte idéaliste ! Va chercher la femme sans vice !, pense Ève dépitée face à ce mec délirant, naïf, irritant. Ève et Adam, éternel revirement vers la case départ. Badinage, dépit, caprices, haine, étreintes, cris; à rien ils n’échappent. Si cet éternel bagage est enfer, est-ce l’Eden ? Bien des billevesées et petites chicanes afin d’en arriver à l’essentiel: dénicher de la mangeaille en ce matin enneigé. Mais la belle ne le laissait ni de marbre ni de glace. La belle l’attisait en résistant à ses gestes empressés. Même s’ils se drapaient dans l’indifférence, les amants vibraient en alternance.

Renaître à travers les champs de maïs et s’épivarder à tire d’aile, c’était envisageable en cette fin d’été. Ils avaient décidé de rester à l’écart de la vie en s’engageant minimalement, de rechercher cet espace de rêve maintenant accessible. Ils étaient là, vraiment ? S’échanger des lettres dans l’espace rend-il la présence réelle sans repère spatial ? Viser à préserver l’enchantement des départs imaginaires et embrigader l’esprit avide de dérives en permanence, est-ce  cela vivre? Vivre en marge, dans les lisières, sans les aléas des matins gris, Adam et Ève, est-ce l’idéal de vie ? Mais Skype  fait des miracles; il amplifie la présence, permet de dépasser le dire,  de réinventer  en parallèle sa vie en avalant de la bande passante à  débit élevé. Être en phase avec le vaste espace, c’est l’atteinte du Nirvãna. Être en face de l’être aimé et se dire davantage en s’écrivant, car des charmants petits billets aimables il n’y en a jamais assez. Le sens des épithètes venait à s’effriter. Le sens de la vie en venait à se disséminer.

APERÇUS

Photo de Sandstein, Licence Creative Commons

D’une humeur massacrante dans le feu de l’été, Clara s’échappe au crépuscule devant les passants médusés. Beauté rebelle, elle cherche avec  ardeur  à retracer le départ de Rufus en ressentant un mal étrange. Ce qu’elle a, nul ne le ressent, nul ne l’a perçu. Être un avec l’autre, deux et un égalent quatre. Elle ne peut refuser de penser à ce que fut Rufus, un amant étrange et fugueur. Les maths de la peur d’être rejetée, larguée, plantée là tel un déchet, un excrément dans la fange ou la lavure s’avèrent ardues. Rufus ne fut pas que Rufus, fut plus que Rufus: un funambule heureux ! Elle n’eut pas peur, nue dans ses bras, que le jeune éphébe se révèle un bellâtre rusé ou un raseur puant. Elle eut peur d’une chute de l’hurluberlu, fugueur funambule, et pleutre rêveur, peut-être même d’une chute dans un rêve, la plus superbe de l’ensemble.

Descente brusque au large de la chute. L’attente, muette. L’urgence sur la peau se répand en traces légères. Rufus, belle lurette.« Quel luxe d’être seule ! », hurle-t-elle, mue par l’humble peur de nuits lugubres, de l’absence. Être nue, n’être pas, que préférer? répètent sans cesse les mêmes enclumes jugulées par le sens. Le parachute est d’argent et le muret est dur. Le bureau des pleurs est fermé. Le barreau des peurs a chuté. La barre haute des humeurs a parlé. Elle brûle sa fureur et ses mats pâles. Ses prunes en fleurs, ses bulles en phare. L’amer est en feu, à la hune le chat est hué. Délétère, la vague efface les larmes, pas les armes. Que crèvent les nuages étalés. Reprendre par le menu le sens brut du texte. Affubler de substance et d’µ cet étalage aveugle, ce ruban funambule entêté sans queue, ces phrases étendues à la queue leu leu. Désespérance extrême. Les départs terrestres maculent le passé et tachent le présent. Quel est ce mal étrange et quels secrets garder ? Être mue et émue dans les franges du temps en dansant dans ta tête.

Clara s’embarrasse de tendresse et en assume les rafales. La présence suspendue de Rufus la ramène  à la  fulgurance des excès, à de la turbulence exacerbée. À l’heure d’être à deux, leur deal est tendu par le vent. Un nuage en vue… Crèvera, crèvera pas sur eux ? Que veulent tant ces amants ? L’attachement perdure malgré les heurts. Elle remet en cause ses valeurs actuelles et les plages du temps s’entremêlent. Des brumeuses pensées parsèment une langueur émergente. Les blues la guettent. Heureusement, le flux des vars renverse la tendance et se lance à l’assaut ! À l’assaut de quel astre, la lune est haut perchée ? Du crépuscule se dresse le spectre de la quête de Clara, cet être charmeur, cet élu tant recherché: Rufus.

LIGNES DE  FUITE

Puisque l’esprit est une réserve de chimères, rien  n’est inscrit définitivement  en cette durée devenue fugitive. En effet, l’univers réprime les rêveries et submerge le réel. L’intensité semble brûler les êtres en recherche de tendresse et il est difficile  de risquer de les perdre. Le temps est venu d’inverser le silence. Et le temps est venu de sublimer le dire.

Freefoto.com

Les cimes se défeuillent. Le ciel se vide de ses nuées. Les individus errent, privés de sentiments. Seul, le verbe est. L’espèce est perdue. Il ne reste que les signes qui impulsent l’indiscipline. Les gens s’effleurent péniblement. Les fils de fer de l’Index limitent leurs esprits. Leur désir se flétrit et crève lentement. En plein tumulte hérissé de cris éperdus, il est venu en ce lieu chercher une vérité. Ni une ni deux il prie. Ni un ni Dieu. Ni pitié ni merci ni servitude. Pierre lève un pieu vers ce ciel prétentieux et querelle l’interdit. Il inscrit ses prières à l’intérieur de cumulus dessinés sur des feuilles de vélin fibreuses et ces petites bulles le sécurisent. Bulles de sueurs, sciure et pleurs.

Ligne de fuite par Omael sur TrekEarth

Demeurer indifférent, feindre une quiétude, juguler les gémissements. Fuir les brûlures du cilice, ciseler l’être spirituel, refuser l’éclectisme et subjuguer le désir. Il existe  des milliers de registres peu fréquentés et  leur intérêt en est le prix. Quel est le sujet ? Quel en est le titre ? s’enquiert-il inquiet. Il se décline en lettres imprécises et hermétiques chez qui veut le pérenniser. Ses lignes de fuite se rient de l’esprit. L’inquiétude est de mise et se justifie pleinement. Même qu’elle permet de remettre des trucs en perspective et éventuellement de s’enquérir: quel est ce désir d’être heureux ? Des meutes de titres interdits et des schèmes enfermés en sursis ! Les révéler et réveiller les Furies ? Mettre l’épistémè en péril ? Tenter d’en déchiffrer l’intrigue. Inutile de répliquer si l’esprit fugitif leur insuffle une vigueur imprévue et multiplie de siècle en siècle les écrits suscités.

Pierre muselle ses pensées libertines; l’échine brisée, empli de  dissentiment, il se signe. Fuir, s’enfuir, quitter cet univers qui le rejette. Il dissimule ses envies d’intensité et d’intimité en vue du  but ultime : distiller les risques inutiles de l’impulsivité, filtrer les délires d’un esprit empreint de liberté et redéfinir l’immensité de ses requêtes implicites. Il enferme les reliques insignes du désir et jure sur l’effigie qu’il fut perpétuellement vertueux. Muni d’un gri-gri, il exécute des figures subtiles si bien qu’il entend le Verbe. « Tu es le berger du culte, le guide du peuple. Chéris ce titre. Vis ce ministère sereinement. Tu es Pierre et, sur cette pierre, j’édifie une église. »

Cimetière de livres -École d'Art La villa Arson

Il veut errer vers le cimetière des livres perdus et débusquer ces titres d’une ère qui n’est plus. Il s’épuise et crucifie le sens du réel innervé. Il se retire en lui-même, quête les esquisses imprécises des textes lus: lettres, virgules, signes se mêlent indistinctement. Les scripts libérés de l’emprise de leurs pères et mères se réinventent pris en gré de séduire plus de lecteurs. Inspiré, Pierre frise l’hérésie : il délie l’écriture, il délivre le virtuel, il devient éclectique, il délire !  Il migre vers Twitter et une merveille d’écriture plurielle. Et une lumière fut: plus de perte de temps. Il frétille de cette écriture. Un sentiment de liberté inventive le submerge. Et les secrets deviennent déprise. Sirènes d’urgence ! Résurgence ! Femme d’Épiméthée régénérée ! Le virus des pires misères terriennes infecte le fil. Le dernier des piliers vient de céder. Pierre est hystérique, limite d’être interné. Il se désiste difficilement et se tue en silence  sur cette mer de désirs.

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Du bivocalisme au trivocalisme en Twittérature collaborative

Avec le soutien de la  communauté twitterienne

L’une des forces de la collaboration facilitée par  les réseaux sociaux (qu’il s’agisse de Twitter ou de Facebook) m’apparaît  être la fusion des imaginaires collectifs et la mise en commun des talents de chacun. Ainsi, je reconnais  que je n’aurais jamais pu rédiger seule certains  textes  inspirés des contraintes de l’OuLiPo tels que Ludovic (alternance voyelle-consonne) et Évasion (sans hampe ni jambage) tant les exigences retenues étaient grandes. Même constat pour le twitteroman sans E Tourbillon dans la  foulée de la Disparition de Perec qui cautionnait à son insu et de  façon posthume  cette  idée réactivée et revisitée en raison de l’interactivité du Web 2.0.

Du monovocalisme au  bivocalisme

Jusqu’à présent, les défis oulipiens proposés ont  permis d’explorer en Twittérature collaborative  le monovocalisme en E (Effervescences) et  en A-I-O-U ainsi que le bivocalisme en A-E, I-E, O-E et U-E (Passages. Ivresse, Osmose, Murmures). De micro fictions narratives en ont découlé selon un mode participatif puisqu’une  vingtaine de twittérateurs   y ont collaboré sur une base spontanée et  volontaire en se rendant sur les #mots-clic sélectionnés de leur choix, mais désormais disparus depuis en raison  de l’impermanence twitterienne. Il m’apparaît opportun d’offrir ce genre d’alternatives apparentes, puisque si le principe exploratoire m’importe, les produits peuvent toutefois varier étant donné que le processus rédactionnel s’avère identique. Le monovocalisme en
E inspiré de Perec (Les Revenentes) m’apparaît encore à ce jour extrêmement poétique et Effervescences demeure l’un de mes textes collaboratifs préférés. Je reconnais  que les autres essais monovocaliques en A-I-O-U ont été plus difficiles à concevoir puisque la faible fréquence de ces  voyelles en français limite considérablement les possibilités d’énonciation. D’ailleurs,  chez les premiers Oulipiens les expériences tentées à cet égard ne sont pas  apparues autrement concluantes. Cependant, lorsqu’il  fut  question de bivocalisme en E-A, E-I, E-O et E-U, une certaine jouissance esthétique est survenue.  La  fluidité des textes en témoigne d’ailleurs éloquemment et l’expérience twittéraire a rempli ses promesses implicites. J’ai d’ailleurs tellement  aimé vivre cette expérience collaborative que j’ai voulu poursuivre l’expérience bivocalique en m’y essayant ensuite toute seule. Il  est certain que l’expérience à plusieurs permet d’instaurer une connivence, accompagnée de surprises, de relances et redirections  fort agréables à vivre dans un esprit ludique. Mais quand j’ai rédigé récemment ma première  nouvelle littéraire  oulipienne hors du cadre limité de Twitter (limite établie de 140 caractères) en préférant cette   fois  recourir à Facebook, je me suis appuyée sur mes propres contributions à un groupe d’écriture, celui de Lipoyes afin qu’un texte personnel en émerge, soit Entente passagère.

L’influence de @Strofka, encore et toujours

Voilà pourquoi je vous propose aujourd’hui trois nouveaux défis apparentés pour clore cette suite vocalique particulière en vous invitant à vivre collaborativement mais  surtout sous forme d’interactions narratives, des expériences en trivocalisme. Elles sont encore une fois  inspirées directement de travaux rédactionnels parallèles dans les groupes d’écriture initiés par  Strofka sur Facebook auxquels  je  collabore depuis juillet dernier avec un immense  bonheur. Alors qu’il s’agit dans ces groupes facebouquiens de commenter ou de réagir abondamment à des propositions visuelles, musicales ou textuelles, selon ses envies puisque les propositions offertes sont infiniment nombreuses et que certaines d’entre elles, selon les moments de participation, s’avèrent plus attirantes que d’autres, elles s’inscrivent dans un  mode  de discontinuité  favorable à l’expression personnelle ou dialogique, ce que je  vous propose aujourd’hui  s’inscrit davantage dans un mode de continuité discursive puisqu’il s’agit encore une fois d’une  histoire en chaîne où chacun doit poursuivre dans l’optique d’une cohérence narrative  en prenant  appui sur les tweets précédents. Je remercie encore une fois @Strofka pour ses initiatives lipogrammatiques dans LIPOLYS (sans I ni O) , dans LIPKAE (sans U ni O) et dans LIPKAO (sans A ni O). Je rappelle que la voyelle O de StrOfka a été supprimée systématiquement et déjà  cette omission du O à elle seule entrouve des horizons syntaxiques et lexicaux fabuleux en raison des  interdictions lexicales et des gymnastiques syntaxiques nécessitées. Le degré de difficulté s’accroît effectivement  si on lui adjoint une seconde voyelle interdite. Vous aurez  compris que le lipogramme est la face cachée et sous-jacente au trivocalisme puisque la centration peut cette fois porter sur les  voyelles à retenir plutôt que sur celles à  oublier.

Des défis collaboratifs à relever en trivocalisme

Vous voulez participer à ces projets axés sur la matérialité du langage afin d’en soupeser la valeur créatrice induite par les impossibilités du dire? Je vous invite à venir me rejoindre sous les mots-clics suivants #trivocAEI, #trivocAEU , #trivocEIU   à votre gré, selon  vos préférences et aussi  souvent  que vous le voulez. Il suffit d’intervenir une seule fois de façon  appropriée (en respectant scrupuleusement les contraintes linguistiques établies, c’est-à-dire les lettres retenues) pour  faire partie du collectif d’auteurs. Il  vous est possible de participer plusieurs fois  dans plus d’un texte, puisque cette diversité  est porteuse de préférences qui  ne manqueront pas de surgir.

Je me suis permis depuis quelques temps de publier en direct sur  le blogue Éclectico les textes en élaboration en y ajoutant, au fur et à mesure, les contributions de chacun amalgamées en un seul texte  collectif. De cette façon, au lieu de lire de bas en haut sur le fil de Twitter à l’endroit de  collecte des Tweets, il  est  avantageux pour les  personnes désireuses d’y collaborer de se référer parallèlement à l’avancement du texte produit. Pour diverses raisons, je restreins l’expérience à quelques jours d’affilée même si je reconnais qu’elle pourrait se poursuivre. Rien ne  vous empêche par ailleurs de la reproduire dans  vos milieux de vie auprès de vos élèves et de l’utiliser  vous-même à des fins d’écriture personnelle.

Pour  intervenir dans les récits en cours, il vous suffit donc d’inscrire à la fin de chacune de vos contributions le mot-clic approprié parmi ceux que vous trouverez ci-après. Étant donné que je  ne  pourrai pas accepter d’énoncés  non conformes, je vous saurais gré de vérifier deux  fois plutôt qu’une  si votre tweet comporte uniquement les voyelles sélectionnées.  En  effet, je reconnais qu’il est   difficile de  cibler les intrus, tant cette façon  d’écrire s’avère peu coutumière. Par ailleurs, je vous invite à consulter au besoin un dictionnaire de synonymes en ligne afin de pouvoir puiser allègrement dans les synonymes proposés des mots  correspondant  aux contraintes retenues lorsque  vous pensez à un mot qui ne peut être utilisé.

Voici  donc les titres que je  vous propose, de même que  des phrases inductrices qui permettent au départ de s’appuyer sur des matériaux langagiers  en vous incitant à construire  vos propres images mentales. Il s’agit maintenant d’inscrire vos tweets en continuité. Encore  une fois, ce sera un parcours heuristique, puisque l’on en ignore à l’avance les résultats.

(Sans O ni U) #trivocAEI : IMAGES L’image est à interpréter et génère des idées initialement imprévisibles. La pensée s’affine en périphérie, même si elle ne  dépend pas des pixels. Adam se disait cela en attendant sa bien-aimée.

(Sans O ni I) #trivocAEU : APERÇUS D’une humeur massacrante dans le feu de l’été, Clara s’échappe au crépuscule devant les passants médusés. Beauté rebelle, elle cherche avec  ardeur  à retracer le départ de Rufus en ressentant un mal étrange.

(Sans O ni A) #trivocEIU :   LIGNES  DE FUITE Puisque l’esprit est une réserve de chimères, rien  n’est inscrit définitivement  en cette durée devenue fugitive. En effet, l’univers réprime les rêveries et submerge le réel. L’intensité semble brûler les êtres en recherche de tendresse et il est difficile  de risquer de les perdre. Le temps est venu d’inverser le silence.

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Ferments de récits et béquilles textuelles*

Le 16 octobre dernier, lors du premier Festival international de Twittérature tenu  dans la ville de Québec, et plus précisément au cours de la troisième table ronde qui rassemblait plusieurs twittérateurs, Jean-Yves Fréchette a causé tout un  émoi en avouant se  servir à l’occasion  de dictionnaires pour le Scrabble (pas nécessairement celui-ci cependant) lorsqu’il lui manquait un mot  de tant de lettres pour parvenir au 140 caractères du tweet parfait pile poil. Je reconnais dans  cet aveu l’âme d’un  grand pédagogue puisqu’il a osé révéler avec générosité l’un de ses petits secrets d’écriture. Depuis longtemps les écrivains ont recours à des stratégies qu’habituellement ils ne partagent pas. On doit à l’OuLiPo d’avoir rendu davantage transparent l’usage des contraintes stimulant la création littéraire. À l’ère des nouvelles technologies et de la présence incontournable des réseaux sociaux, l’exploration est loin d’être terminée,  d’autant plus  qu’avec le Web 2.0  il est  devenu possible  d’écrire en direct avec des personnes géographiquement éloignées. En témoigne d’ailleurs l’émergence récente de la Twittérature dont l’histoire et les visées, de même que ses diverses pratiques, ont été admirablement recensées par Lirina Bloom dans  son inspirant  billet La Twittérature est-elle une littérature ? rédigé dans le cadre de ce tout premier  festival.

Comment font certains écrivains ?

Les stratégies rédactionnelles des écrivains professionnels me fascinent depuis longtemps. Le premier livre qui m’a sensibilisée à cette réalité a été le livre d’entrevues Comment travaillent les  écrivains ? de Jean-Louis de Rambures. Je  garde aussi en mémoire le célèbre Comment j’ai écrit certains de mes livres de Raymond Roussel. Je n’oublierai jamais cet exercice stylistique qui consistait à rédiger un  texte commençant par « La peau verdâtre de la prune un peu mûre… » et qui devait se terminer par « … la peau verdâtre de la  brune un peu mûre ». Passage du P au B. Une seule  lettre de différence entre prune et brune… et un univers bascule. Cette rhétorique de l’invention a été décrite par Christelle Reggiani dans un texte  éclairant. Par ailleurs, dans la revue Québec français, Monique Noël-Gaudreault a repris avec ferveur la formule rousselienne dans sa rubrique « Comment-nom de l’écrivain-a écrit certains de ses livres » en révélant au grand jour, durant de nombreuses années, les sources d’inspiration de romanciers pour la jeunesse au cours d’entrevues éclairantes et inspirantes en les libérant des secrets qu’ils consentaient à partager.    Vous vous souvenez peut-être aussi de la Grammaire de l’imagination de Gianni Rodari ? Les merveilleuses propositions rassemblées en ces pages ont déjà réussi  à générer une multitude de textes littéraires chez les écoliers petits et grands ayant été invités  à jouer avec la syntaxe et le lexique dans une perspective créative.  Si la littérarité des textes  demeure un défi passionnant à relever en classe de français, encore devient-il nécessaire d’outiller adéquatement les élèves.

Quand les idées proviennent des interactions et des matériaux langagiers

Ce qui m’intéresse particulièrement, ce n’est plus tant la spécificité des écritures individuelles et de leurs émergences aussi talentueuses soient-elles, mais la manière dont l’écrit se façonne au cours des interactions à plusieurs rendues possibles par les réseaux  sociaux et facilitées sur la Toile. Lors de mes expériences en Twittérature collaborative,  en plus de celles  que je vis encore dans les quatre groupes d’écriture (Lipoyes, Lipolys, Lipkae, Lipkao) lancés par Strofka sur Facebook, j’ai constaté à quel  point le recours au dictionnaire de synonymes s’est avéré (et s’avère toujours)  un outil indispensable. Parallèlement, j’ai  souvent éprouvé la nécessité de me monter des banques de mots, de consulter les dictionnaires usuels en ligne ou encore d’explorer des listes figurant sur la Toile (ex. listes d’adjectifs, de mots accentués, de villes, de pays, d’animaux, de plantes, de films, de chansons, d’auteurs). Ces listes se déclinent à l’infini et elles favorisent des recherches lexicales en fonction des besoins  ciblés.  De manière complémentaire, la consultation de Wikipédia  à des  fins de cueillette de données référentielles et de mots ne comportant que des voyelles spécifiques dans  des contextes thématiques particuliers (voir les  exemples ci-après) m’a propulsée vers des horizons insoupçonnés. Cette dernière stratégie s’est  avérée féconde puisqu’elle a pu me fournir des informations exactes au plan du contenu. Elle est également  aisément transposable en salle de classe.

Quelques  exemples éloquents

1) LISTES DE MOTS : Voici un double tautogramme en D-M initié par Strofka et
moi-même dans les 3Word Story** au printemps 2012 et rédigé en collaboration avec d’autres participants à raison de 3 mots à la fois, en différé et en alternance sur cette capricieuse application de Facebook. Pour y collaborer, j’ai eu recours, lorsque je n’avais pas d’idées, à des listes de mots provenant notamment de l’abécédaire de l’Internaute , ces listes alphabétiques  telles que celles des mots en  D ainsi que des mots en  M pour le texte Dis-moi donné en exemple ci-après. Ces listes m’ont été bien utiles, même si je reconnais que les choix effectués résultent de  mes préférences individuelles.  Je me permets de  rappeler que la sensibilité esthétique se développe au contact de l’appréciation des oeuvres littéraires de qualité et que cet objectif fait partie des programmes de Français, au Québec et ailleurs. Voici donc le tautogramme en D-M  coproduit:

DIS-MOI

Dis-moi des mots  doux, des mots de miel, des mots divins, de délicats mensonges, de dionysiaques diatribes, de dithyrambiques  distiques, de malicieux discours, des murmures duveteux, de drôles de désirs, de minimalistes dérobades. Dis-moi des mots dingues, des mots ding-dong,  des mots différents, de délicates déblatérations dodues. Dis-moi des méli-mélo mystérieux, mime-moi maints duos, de douces mélopées, démange-moi de mots, démasque-moi dangereusement,  dis-moi des mets ductiles. Délivre-moi des débats mous,  des discussions démantibulées, des désordonnés dactyles. Dis-moi des mots millésimés,  des myriades de mots, des monosyllabes mollement modulées, de méphistophéliques mignardises. Domine-moi de doutes,  dilue mes misérables mythes de la danse macabre du dire. Dis-moi des mots de maître, des mots diaphanes, des mots diamants, des mots de disette, des mots majestueux, de minimalistes murmures. Désigne-moi des messes basses,  de mythomanes mandibules, de malencontreuses mésententes, des mots défunts, des mots désuets, de drôles de menuets. Donne-moi du  miamore, du miam-miam, des mimiques minaudantes. Mime-moi moult miniatures, maints mouvements machistes, magnétise-moi de mots malins. Mystifie-moi, désengage-moi,  dérobe-moi, délivre-moi doucement. Malaxe mes mots dans de mirifiques mares. Magie du dire, mots moelleux,  miel de mots, mie de miettes. Dis-moi, dis-moi, dis-moi…
À partir  d’une liste de mots comportant uniquement des accents circonflexes, voici un autre  texte issu des 3WS et corédigé,  à coups de   trois mots, à partir de la  proposition de Strofka Méop.  Vous pourrez constater que de nombreux mots figurant  sur cette liste s’y trouvent:

Si le bâtiment…

Si le bâtiment sur la crête loin du brûlot apparaît plutôt moyenâgeux, l’entrepôt adjacent, lui, près du châtaignier, semble être envoûté par un hôte diplômé du futur. Un hôte fâché avec la fraîche enjôleuse sans âge. À la hâte, le châtelain fantôme idolâtrait quelques grisâtres icônes sans intérêt. Maîtresse de château, pâtissière de surcroît, la femme de goût mûrissante jeûnait pour mieux rêver. Sans trêve, sûrement, elle goûtait les brèves flâneries en rabâchant des âneries fanées jamais pareilles au maître de la redondance. Renaître sans être fait roi, et avec grâce, braver son opiniâtre statut. Réapparaître sans hâte à la fenêtre puis se soûler la tête, le corps, et l’âme.

2)PAGES DE WIKIPÉDIA: Afin de tenir compte des contraintes oulipiennes rattachées aux  groupes d’écriture de Strofka sur Facebook, (Voir Un bien étrange lipodrome), il m’est arrivé maintes fois de recourir  à des pages de Wikipédia, cette généreuse encyclopédie en ligne. En effet, lorsque les déclencheurs thématiques provenaient d’illustrations, il m’a été souvent possible d’articuler des fragments lipogrammatiques en prélevant des mots adéquats dans certaines pages de Wikipédia. J’ai ainsi  constaté qu’il était possible   de faire jaillir des idées ou  d’effectuer des assemblages d’informations. À prime abord,  cela peut sembler aisé mais ce ne l’est pas, bien que ce soit aidant.  En effet, c’est la syntaxe qui devient problématique  quand  la question du lexique est réglée. Des contorsions s’avèrent nécessaires parfois pour assurer la grammaticalité des énoncés rédigés.   Belle occasion de jouer  avec les types et les  formes de phrases. En voici quelques  exemples extraits uniquement de mes contributions personnelles:

2.1- Dans Lipoyes (avec les voyelles A et E seulement)

THÉSÉE : La légende de Thésée rappelle celle d’Héraclès. Enfanté par Égée et Aethra de Trézène, à sept ans avec sa célèbre hache Thésée massacra la méga bête étrange hantant la place. À Delphes, sa mère révéla à cet être désarmé le secret de sa genèse. Des années passèrent. Après s’être emparé de l’épée et des sandales sacrées cachées près de la mer, avec des stratagèmes, Thésée acheva des bêtes effrayantes et menaçantes en se rendant vers l’éden de l’Est. Certes, de tels exemples révèlent ses antécédents.
DINOSAURE : Belle bête, avant l’ère de glace, émergeant de ce passé décalé. Espérer recréer cet être égaré en replaçant ensemble ses restes espacés. Pendant le Crétacé, cette espèce de très grands vertébrés a exagéré sa présence. La Terre, en cette ère datée, a créé après le magma des espaces permanents et des clades apparentés. Cet être édenté et écervelé reste présent dans les annales. Amalgamer les temps et les êtres dedans, reste demandant.

2.2-Dans Lipolys (avec les  voyelles  A-E-U mais sans O ni I)

LE RADEAU DE LA MÉDUSE : Cette peinture remet en cause les valeurs actuelles. Avant de mettre le cap sur Dakar, la célèbre frégate est empalée au large du Sénégal en 1816. Sur le radeau, pas une carte, pas une ancre, seulement des naufragés désespérés. La mer entame une rumba effrayante. Quelques passagers se rassemblent au centre du radeau. Les autres, happés par les eaux tumultueuses, se blessent et trépassent. L’Argus les sauve sans les chercher. Sur les 152 naufragés, seuls 15 furent rescapés, en plus des 17 demeurés sur l’épave. La guerre dégrade les gens guettés par la désespérance.

2.3-Dans Lipkae (avec les voyelles A-E-I mais sans O ni U)

NEFERTITI: Célèbre princesse et reine-déesse infiniment belle, née en -1370, retirée à Thèbes, très réservée envers les ennemis de l’Égypte.
BATMAN : Caché dans la ville fictive américaine de G.tham City, le chevalier-leader tente de la débarrasser, à travers les années, des vilains criminels et de ses ennemis excessifs. Après des années passées à se préparer, ce Batman déterminé a décidé de reprendre en mains la ville enlisée dans le crime. En ces temps de tremblements excessifs, les principes définitifs dévastent les esprits exacerbés par la présence de ce mal délétère.
LEILA BEKTI: Cette algérienne née à Sidi bel Abbès s’est engagée de film en film à défendre ses idées par militantisme. Elle a été Yasmine avec Vincent Cassel, Zarka dans « Paris je t’aime », a participé à des web-séries (partenariat Arte et MySpace) et à des miniséries (celle de Malik Chibane ) narrant la saga familiale de l’arrivée des premiers immigrés algériens en France. Dans Harkis, la famille décrite est semblable à la sienne dans la réalité. Le grand écran l’a bien servie en 2009 avec Géraldine Nakache. Quatre ans après Harkis, elle reprend avec Alain Tasma (téléfilm) et entame des films étant à l’affiche présentement (parmi lesquels « Itinéraire bis »). En 2011, elle participe à ‘Mains armées » et le César féminin est décerné à Lila incarnée par elle. En 2012, membre de ce célèbre festival de Cannes (film « (Ce) certain regard »), elle  se mérite ce prix et rend grâce avec ses amis.

2.4- Dans Lipkao (avec les  voyelles E-I-Umais sans A ni O)

DELPHES : Delphes est  le site d’un temple réputé investi d’un but religieux et qui représente l’unité grecque.  Les pilliers hellénistiques dressés, ceux des Messéniens, de même qu’un sphinx,   se révèlent des lieux précieux dûment fréquentés . C’est si difficile de se chercher et de se définir sur cette terre.  Respecter l’écrit qui figure sur le temple de Delphes (en grec Γνῶθι σεαυτόν) représente un réel défi puisqu’il est peu évident de déceler sincèrement les types d’individus. Un  prélude de Debussy lui est dédié.

3) DICTIONNAIRE  SPÉCIALISÉ : Toujours   grâce à l’initiative de  Strofka Méop avec qui j’ai eu le plaisir de collaborer dans les 3WS,  le recours systématique et alphabétique au dictionnaire en ligne de Charles SABATIER Petit dictionnaire des mots rares et anciens de la langue française a donné une production assez particulière.  La nécessité d’y recourir à la  fois pour écrire et  pour lire, et cela  afin de tisser  et construire du sens à partir de  mots aujourd’hui disparus mais réactivés pour le simple plaisir d’expérimenter, a constitué un grand moment  d’euphorie. Le texte  qui suit en témoigne.

RARES ET ANCIENS

Les accordailles avaient eu lieu dans une basilique ancienne accotée à l’adret. Les agapes pouvaient alors apparoir. Un ardélion fardé avait déjà convaincu Abélard de son bon droit, usant des arguties et des apories propres à son auvoire. Une aubade de circonstance avait attiré un bagotier haletant sur le bardit du barde. C’est ainsi que ce bélitre dévia de sa prétendue barcarolle pour billebarrer ses pas de deux sans bisbille. Battant la chamade, sans chicoter, il prit le parti du clabaudeur clampin. Concomitamment, les commensaux commencèrent à ne plus vouloir conniver et s’abstenir de voir. Croquembouches et darioles furent généreusement distribués alors que la fête battait son délusoire déduit. Héloïse, de son côté, détorquait sans répit son désamour en elle, si bien qu’elle se dragonna et ne put, afin de duire, s’ébaudir davantage. Quand pour faire plaisir aux écornifleurs, les convives se mirent à embelliner les hôtes, plus rien n’arriva : aucun épithalame, aucune ode en latin, aucune épigramme. À mesure que fratrasies et fariboles suivaient leur cours, galimatias et gabatines déclinaient de concert. La glossolalie empira tant et si vite qu’il ne fallut pas s’en goberger plus que de raison. Suivant un godelureau greluchon, l’assemblée prit d’assaut, en haussebecquant, hâbleries d’usage, le buffet sous le houssoir. À la fin, le houka rassembla l’humeur joyeuse des historieurs et icoglans. On se serait, dans l’immuration, attendu à ce que l’histrion hogne, mais il n’impugna que dalle, le gars impavide et infracteur.   Jabotant et jacassant, juxtaposant les truismes, le jobelin-joletrin décida séance tenante de lancer un jargon novateur et abscons : karmatique du kantref. Louvoyant vers le larigot, il lantiponna de plus belle en lourant souvent. Pour en revenir à nos louftons, à  ce fameux banquet, les maisniers malévoles prirent la parole comme des maroufles, alors que sur le marchepied margottaient nos pelures.

4) DICTIONNAIRE DE SYNONYMES : Le dictionnaire Reverso est actuellement mon
préféré même s’il y en a d’autres sur le net. Lorsque des incapacités de dire surviennent en raison des contraintes, il suffit de feuilleter les pages  des synonymes proposés. À cet égard, mon  expérience personnelle remonte au printemps 2011, alors que j’ai lancé sur Twitter un premier défi collaboratif oulipien, à savoir un roman sans E,  inspiré directement de la  contrainte retenue par Georges Perec dans La Disparition. Ainsi est né Tourbillon ***, ce micro roman produit  en twittérature collaborative et comportant six chapitres corédigés par une vingtaine de twittérateurs en seulement six semaines. Dans ce roman, comme il était impossible de recourir au terme  bébé en raison des deux E, on a  retenu bambin et poupon. Ce ne pouvait être une fillE, donc ce fut un garçon. Enfin bref, tous les mots choisis en raison de l’absence d’une voyelle difficilement contournable, le furent par le recours à la synonymie ainsi qu’à des prouesses syntaxiques  pour  se passer notamment du  « Et » ou du « quE ». Depuis ce moment, d’autres textes explorant  de nouvelles  contraintes oulipiennes ont vu le jour grâce à la collaboration des twittérateurs intéressés à relever ce genre de défis. (Voir la rubrique des Écrits collectifs de ce blogue). Si l’on souhaite travailler la  synonymie en classe, il suffit  de proposer ce genre de défis lipogrammatiques en les sélectionnant soigneusement puisque  certains sont très difficiles à relever. Il suffit de devoir se passer d’une simple  lettre pour devoir se centrer  sur la matérialité du langage, sur les signifiants des mots.

Pistes de travail

Rédiger des textes brefs à l’heure des réseaux sociaux invite à explorer l’écriture collaborative (Voir à ce propos Web 2.0, nanolittérature et OuLiPo: un trio gagnant en classe de français). En effet, les contraintes oulipiennes peuvent être agréables à travailler en  petits groupes puisque les échanges seront  forcément porteurs. En utilisant les outils en ligne, il est prévisible que  la littérarité des textes produits  s’accroisse   de même  que leur indice de poéticité.  Le mythe de l’inspiration qui perdure encore est ainsi déjoué  au profit d’une démocratisation d’une écriture plus littéraire.  Des  récits factuels ou fictionnels  insoupçonnés  se mettront  à émerger au fur et à mesure que des idées surgiront en s’appuyant sur de  véritables matériaux langagiers.  Dans cet  esprit, Paul Valéry affirmait ceci :  « Il y a bien plus de chances pour qu’une rime procure une « idée » (littéraire) que pour trouver la rime à partir de l’idée », une assertion porteuse pour la poésie, certes, mais également pour la narrativité. (Oeuvres complètes, tome 2, La Pléiade, p. 582)

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* Pour le titre, j’ai emprunté ces deux expressions à @Strofka, car elles  font véritablement image et s’avèrent complémentaires. Je lui en sais  gré.

** Pour des  informations additionnelles concernant les 3WS  malheureusement devenues indisponibles, voir le billet suivant  rédigé  quelques mois plus tôt, soit au tout début de ces jeux textuels : Incursions littéraires facebouquiennes…en 3 mots !
*** Pour un retour significatif  sur cette  expérience rédactionnelle,  voir Retour sur le  du twitteroman sans E (Atelier donné à l’AQPF en 2011)
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Entente passagère

En hommage à Strofka  *

Septembre est déjà là, embrasant le réel dans la salle des fêtes. Ancrée dans Balzac, Anne s’est  lancée  dans  La femme de trente ans, se représentant nettement cette femme semblable à elle à tellement d’égards. Elle s’arrête à cette page embarrassante en encerclant de brefs passages. Tant d’années, tant de retards la gênent présentement.

Les termes de l’entente avec Gaëlle la dérangent. Dans ce face à face avec elle-même,  elle se balance dans la nacelle de ce rêve prégnant. En ne ressemblant pas à sa mère, elle pense franchement échapper à ce  passé planté en elle, ne sachant pas  se défendre sans ses charmes. Le testament a enflammé   la sphère  des secrets  en  ne respectant  pas les termes  réglés à l’avance.  Va-t-elle se lamenter, stagner dans le mal-être, zébrer l’espace et le temps en ne parvenant pas à reprendre sa place ? Elle éclate en larmes. Ne pas désespérer et chercher davantage. Elle  espère retracer ses récentes escapades. Même sans  les cerner, elle y pense et  se les rappelle sans arrêt.

Derechef, elle change de plan. Ne va-t-elle pas  s’élancer prestement vers la plage ? Va-t-elle arpenter cet espace tempéré en caressant le  sable  blanchâtre ?  Elle cherche la recette écartant les pensées errantes,  tente  de se rasséréner et de se calmer. S’empressant d’éjecter les demandes exagérées, elle relève les excès passés, repasse et répare dans sa tête des  scènes afférentes  avant de lâcher désemparée ce lest à déplacer. Certes, les éléments semblent apparentés et l’acharnement réel. Elle reste tentée par les sables d’antan lavés par la mer, sans regretter cet ancrage espéré. Elle se perd dans les méandres effacés par l’ensablement de ses pensées et l’effet délavé amalgame cet être  éthéré à des éléments ternes et banals. Lasse de ce Karma échevelé repartant en  cavale, elle repense à Hansel et Gretel et espère s’arrêter à temps. Tenter le temps. Tenter Satan. Elle déteste de tels désagréments  et s’enrage envers cette  avalanche de pensées  macabres.

Sera-t-elle capable de demander à  Gaëlle de l’emmener avec elle  après ce présage fatal ? Elle espère malgré elle ce regard tendre, ce regard de fée, ce geste d’attachement traversant le temps. En général,  les êtres de cette trempe paressent  et enferment les pensées dérangeantes dans des remèdes palpables. Elle reste zen. L’effet ne tarde pas.

Une œuvre de Cécile Prunet

Sans cesse, les amantes emmêlent, démêlent et entremêlent des mésententes extrêmes. Elles se détachent, se perdent et se désengagent, avant de se réengager et de se relancer dans le présent. Cependant, elles cessent de temps en temps de désagréger la tendresse. Les gens rebelles   détestent  changer et exècrent  ce genre de  mascarade. Ces pâles reflets des papesses  d’antan s’enlacent en refrénant les gestes espérés et les regards absents. Elles semblent avares de ce temps en allé, de ce temps excédé, et pensent à  s’évader dans la chambre en se gavant d’essences délétères. Elle s’enferment éméchées dans l’enfance enchantée, s’’égarent en secret dans l’enfance transgressée. Elles se perdent dans ce passé présent exacerbé par des fragments de rêves et les messages captés. Perec semble très présent avec ses  Espèces d’espaces à engranger. Elles créent expressément des  événements éternels.

Tentant de se passer avec grâce de sa déesse,  Anne se  demande : Est-ce réellement elle, là, dans  ces  sphères exaltées  de l’âme ? Est-ce valable de  prélever secrètement de la transcendance dans des gestes éclatants ? En essayant d’enserrer l’espace et  le temps, les arcs se resserrent et les avantages engrangés se perdent lentement.  L’absence enferme l’espérance évadée. Se sachant éternelles en ce passage terrestre décapant, Anne et Gaëlle espèrent s’en rappeler. Elles changent généralement d’adresses  et s’empêchent de  s’en aller dévastées.   Elles effacent sans arrêt les traces espacées et en redemandent à ce karma pervers. Embarrassées de tendresse vengeresse, elles se caressent lentement et se jettent damnées dans l’espace-temps des fractales,  semblables en cela  à ces âmes en détresse et gavées de néant testant  la dépendance à ce réel tenace.

En ressassant des ébats enflammés, Anne, en dame galante, préfère nettement  encenser le temps. Enlacée avec Gaëlle, elle s’égare en elle dans des gestes réels. Pendant cette trève banale, elles restent là serpentant en tandem, s’égarant dans l’espace, s’enfermant sans fenêtres, s’évadant dans l’extase. Elles se prennent,  s’entrelacent et se reperdent sans s’arrêter. Présence de serments et  de secrets  carapacés. Bravades, rasades et  fantasmes en fanfare.

En échevelant cette légende et en l’ensemençant, Anne   demande à  Gaëlle  de reprendre cet ascendant dérangeant.   Elle se défend désespérément dans sa tête, car  sa présence ambrée affecte  le mental  désaltéré par des rêves effervescents. Espérer retarder l’échéance en s’empêchant d’être. Se mettre la tête dans le sable lézarde le langage et le  verbe est rare en attendant. Est-ce dans le passé ? N’est-ce pas dans le présent ?  Dans  ce rêve dérangeant, des gens rassemblés là semblent attendre la sentence rattachée à l’événement latent. Les regards hagards et atterrés  des gens  la  transpercent et la détachent d’elle-même. Elle menace les manants de s’en rappeler.

Perplexe,  elle regrette l’entente paraphée et elle se réfère,  âprement rechargée, à la présence absente des âmes dépravées. Avant même de s’alléger  mentalement, elle  s’élance en pensée à travers les fenêtres étanches en perdant les pédales. Sans gêne, elle se met en danger, sanglée dans ce ballet effarant. Ses bras, sa tête, ses jambes et ses hanches enfermés d’emblée dans l’espace mental agencé en strates, l’alertent. En parallèle, c’est sa traversée, sa démarche en cavale dans ce désert hébergeant  ce  passage paramétré échappé des fantasmes.

L’été  passé dans le Sahara l’a altérée. L’effet  terre maternelle l’a arrachée à ce spectacle ressemblant à Babel, car elle escalade le langage avec entêtement. Amplement transparente à elle-même, elle s’étrangle dans le parc des apparences, et se perd dans ses dédales. Elle a changé. Changer et rechanger en restant le même être, espérer relever cette bravade. Elle écarte les  menaces permanentes et revend par exprès des éclats de réel. Elle  persévère à  rechercher des aspects  d’elle  gardés secrets. Le passé n’est pas  réparable. Le présent  respecte ses engagements. L’effet est raté et elle a  gagné par hasard en  se cassant  le nez. En gagnante, Anne  se berce  dans cette cachette extrême ensemençant ses rêves. Cachettes et secrets, se cacher en secret. Y régénérer l’espèce pas mal dégénérée. Regretter les ténèbres et l’éternel été. Passer de ce néant à l’élan éclatant. Passer de ce bref élan à l’effarement. Blême, blanche et rebelle, elle ressent les retards  des fées  et danse en les attendant. L’entregent  fardé, le tact étrange, la maladresse valsante,  la présence  chancelante,  la méchanceté affable,   ces extrêmes la rendent attachante et avenante.  Zélée, elle se malmène  davantage en espérant  abattre ses cartes.

Arracher des pans de passé, repêcher la chance,  rattraper ses écarts, les remettre  en berne et les lancer dans le vent, c’est l’exégèse de l’éternel dans ces amas percés de rêves. Elle regrette ses  égarements dans les passages et aléas, ces hasards-événements avant de déceler l’amer dans ses lèvres scellées. En effet, Anne tend à rassembler les termes fastes et néfastes, car elle se déteste davantage en état de partance. Elle entasse vers la berge les effets rescapés de ce passé banal et, en  exagérant, elle  entreprend de se détacher de ce présent verbal. S’attacher à ce départ en marasme la rendra-t-elle malade ? Elle renverse le chapelet d’espaces en émergence dans le lac encerclé de calme plat.

S’élevant en planant, elle ramène dans sa tête l’espace  céleste et s’empresse de s’y perdre en le payant chèrement. Les apparences  restent aberrantes. Elle ramène à la hâte des plans d’escapade en scandant des vers. Les balades enchantent  les âmes légères. Partager des ratages permet d’effacer de stables entêtements et l’amène  à décanter les regrets, à extrader les maladresses, à célébrer l’éternel été.

Prendre le rêve dans ses bras et l’ensemencer de parcelles d’échelles,  émerger dans l’entre-temps, descendre et dévaler les pentes escarpées, c’est se  détacher de l’écart recherché et le cacher dans l’ensemble étalé. C’est prétexter l’effet réverbère  et le chercher ardemment dans les ténèbres renversées. Halte tranchante avant de se déclarer blessée par cet être étrange et désarmé, par cette amante  blasée. L’absence est la présence extrême.  En ces temps de véhémence, est-ce blâmable de s’acharner à redresser les escarpements en place ? Le paysage a changé et elle s’enchante de l’absence de dégâts apparents dans ce marasme passager.

Les hêtres et les chênes se prélassent dans l’ensablement sans âge et ne semblent pas dérangés par la présence de réels dangers. Les anges des ténèbres encerclent  les rares passants. Le cadavre de Gaëlle  hante la grève.  Anne se remet en tremblant de ce départ extrême. Elle est  blâmée et  admet sans appel cet acte regrettable. Même avec retard, les charges menées rendent patentes les brèches mentales et les brefs accès de perte de repères. Récemment, cet état  avéré de  démence (très rare  à cet âge) semble s’être accéléré. Les regrets ne rachètent pas les traces  de détresse, ce drame enfermant éternellement  ses gestes  désespérés  et la vengeance exercée.

Cette Ève s’en est allée vers le lac des fées. Elle a lancé ses vêtements de dentelles dans le bac près des érables et des frênes. Elle a préféré reprendre sa chaste veste grège, sa cape de taffetas et remettre ses sandales de rêve. Va-t-elle sagement se délester de ses effets ? Ne va-t-elle pas encenser les elfes et les farfadets ? Pendant  ses vacances éternelles, elle percera de graves secrets et  tressera le présent de dérapages sagement acceptés.

Dans les champs et dans la vallée, les trèfles s’apparentent à des fragments lettrés. Septembre est déjà là, embrasant le réel dans la salle des rêves, écartant les échecs et les pertes à travers des larmes de sang.

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* N.B. Cette  fiction bivocalique a été  élaborée à partir de fragments prélevés uniquement dans mes propres contributions, soigneusement recensées,  à Lipoyes au cours des quatre derniers mois. Il s’agissait à prime abord de commentaires indépendants, provenant de l’interactivité induite, et  rattachés à une multitude d’illustrations visuelles et textuelles proposées par Strofka sur Facebook dans  ses groupes d’écriture (Voir Un bien étrange lipodrome). Une nouvelle littéraire oulipienne en a  émergé, car des  idées ont surgi qui n’étaient nullement  prévues au départ. Il s’agit d’une autre façon d’écrire, puisque les idées proviennent des matériaux langagiers plutôt que l’inverse. Cette expérience constitue la preuve qu’il est possible d’écrire individuellement de cette  façon,  étant donné que les expériences d’écriture bivocalique en Twittérature collaborative se sont déjà avérées concluantes (voir Passages, Ivresse, Osmose, Murmures). J’ai pu, en me lançant  ce défi singulier, vérifier à quel point les  contraintes linguistiques oulipiennes  libèrent la pensée, et constater que les fragments échevelés de Lipoyes, une fois rassemblés et méticuleusement sélectionnés, peuvent être retravaillés et  générer des textes porteurs en  agissant comme des ferments, ainsi que l’intuitionnait Strofka que je remercie vivement. Il s’agit ici de ma première  fiction individuelle oulipienne, mais ce ne sera certainement pas ma dernière, tant j’ai trouvé l’expérience agréable et stimulante, même si elle était fort exigeante.
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Quelques réflexions sur le bivocalisme apprivoisé

Les quatre fictions bivocaliques élaborées en Twittérature collaborative, à savoir  Passages, Ivresse, Osmose et Murmures sont   déjà publiées dans la rubrique des Écrits collectifs de ce blogue. L’invitation lancée le mois dernier, à savoir Le bivocalisme  vous intéresse ? , a été bien accueillie par la communauté twitterienne tout comme les défis oulipiens précédents. Cette idée provient directement des travaux de Strofka *  qui a  fondé le groupe Lipoyes sur Facebook (lipogramme en I-O-U ou bivocalisme en A-E), groupe dans lequel  je participe d’ailleurs activement. Quatre défis d’écriture collaborative ont été ainsi proposés simultanément sur Twitter (#bivocEA, #bivocEI, #bivocEO, #bivoc EU) , puisque les choix offerts correspondaient en fait aux variantes possibles d’un même jeu d’écriture.  On pourra facilement constater que cette notion d’alternative illusoire, mise de l’avant par l’École de Palo Alto,  a permis de sortir du mode binaire (participer ou non) en autorisant des choix ancrés sur la similitude et les intérêts individuels. La participation ventilée semble  indiquer que chacun  des collaborateurs semble y avoir trouvé son compte,  puisque très peu de personnes ont retenu les quatre options.

L’amalgame des fragments

Les  personnes ayant  collaboré à ces écrits collectifs à saveur interactive ont encore une fois fait la preuve qu’il est possible de tisser du texte à partir de contraintes linguistiques très strictes (contraintes oulipiennes dures), même s’il faut également pour cela  assumer les risques inhérents à  ce genre de cocréation. En effet, puisque chaque personne possède son histoire en tête et que sur Twitter il est impossible de se concerter, les textes évoluent de manière heuristique selon le bon vouloir des participants qui doivent implicitement effectuer des concessions  et entrouvrir de nouvelles options, toujours en prenant appui sur les contributions préalables et en cherchant à établir une certaine continuité dans les enchaînements en tenant compte des tweets des autres twittérateurs.

La théorie des Incipit

Les phrases inductrices ne sont  jamais innocentes puisqu’elles entrouvrent des univers spécifiques et évitent que les productions se ressemblent toutes thématiquement parlant. Elles induisent également un niveau d’écriture en permettant d’inférer des exigences lexicales et syntaxiques. C’est Louis Aragon en 1969 dans son livre « Je n’ai jamais appris à écrire ou les  Incipit » qui a attiré l’attention collective sur le fait qu’un  livre entier peut découler de sa première phrase, un peu  comme si l’on déroulait ensuite une pelote de laine virtuelle. Collectionner des premières phrases, puis  en  considérer leur portée, contribue à mettre en lumière cette évidence partagée par de nombreux écrivains. C’est le propre de l’écriture littéraire que d’induire de telles possibilités esthétiques.

Au-delà de la simple histoire racontée

Je me permets de rappeler que, selon Roman Jakobson, à l’intérieur du schéma de la communication il existe  six fonctions dont l’une centrée sur les mots pour le dire, cette fonction poétique dominante dans les écrits à saveur littéraire. Dès lors, la question omniprésente  dans l’esprit des corédacteurs pourrait s’énoncer comme suit : Comment dire autrement quand on ne peut  utiliser  tel ou tel mot, ni recourir aux procédés syntaxiques habituels ? Par exemple, des listes de mots adéquats ont dû  être constituées par chacun, de même que le repérage de mots ne contenant que les voyelles autorisées, et ce dans une diversité d’écrits (romans, journaux, poèmes, etc.). Le recours  aux dictionnaires de synonymes, notamment celui en ligne  Reverso,  m’a rendu personnellement bien service pour les  substitutions désirées. Écrire n’a donc plus rien  à voir avec l’inspiration dans un contexte comme celui-ci. Il s’agit  plutôt de  sélectionner les mots qui nous conviennent   et répondant  au bivocalisme retenu. La diversité de phrases inductrices a ouvert des champs sémantiques et des horizons thématiques diversifiés, de telle sorte que les histoires ne se ressemblent pas même si elles ont  été générées  à partir de contraintes du même ordre.

L’histoire est-elle vraiment importante ?

On peut se poser cette question de l’importance de la trame narrative lorsque l’accent est mis sur la matérialité du langage. Il est donc possible de répondre de façon polarisée Oui et non, même si la réponse peut se trouver plus nuancée. Certes, il importe de veiller à  la cohérence interne de ces histoires en chaîne et,  voilà pourquoi  le respect des méta-règles de cohérence textuelle énoncées par Michel Charolles demeure fondamental. Il s’agit en résumé de : 1) la répétition/continuité ; 2)  la progression/organisation ; 3) la non-contradiction; 4) la relation entre énoncés et contexte. Ces  règles incontournables  se trouvent dûment expliquées  par  Clémence Préfontaine dans un article destiné au milieu scolaire.

Nature de mes interventions

Selon mon habitude, je suis peu intervenue durant l’élaboration des fictions et ce que j’ai fait se résume à ceci: 1) Rédiger les premiers gazouillis pour lancer les projets et susciter des  horizons d’attente thématiques; 2) Insérer de nouveaux tweets pour réactiver les textes en devenir lorsque l’immobilité ou une confusion relative s’installait; 3) Conclure, s’il y avait lieu, chacune des microfictions à la fin du temps imparti. En guise d’exemple, j’ai dû supprimer dans  Ivresse le  nom du personnage masculin Éric que je voyais en couple avec Émilie. En raison sans  doute du film Tintin mentionné, un enfant est apparu dès le début   du récit. Ayant  été prénommé Émile par l’un des collaborateurs. ce prénom visuellement proche de celui de sa mère a induit un couple mère-enfant  fusionnel (Émile-Émilie).  Après avoir été tentée de changer le prénom maternel en celui d’Élyse —  ce que j’ai d’ailleurs fait durant un très court moment —  je me suis ravisée quelques  heures plus tard. J’en ai alors profité pour supprimer l’enivrement par le vin   et préféré maintenir l’ivresse des idées. J’ai aimé effectuer  ce genre d’ajustements, car  lorsque la cohésion textuelle  est en train de s’installer,  je suis d’avis que la souplesse est requise.

Quand le texte a commencé à s’allonger, j’ai décidé de le   fragmenter en paragraphes afin d’en accroître la lisibilité. À cet égard, je reconnais que d’autres choix auraient  pu être faits. Habituellement, on décide de changer de paragraphe lorsque l’on aborde une nouvelle idée, alors qu’ici ce fut fait  après coup. « Qui ne dit mot consent », et les participants semblent avoir entériné ce découpage qui pouvait s’avérer facilitant pour les aider à s’y retrouver.

Si j’ai  dû contacter en privé  quelques   personnes,  ce fut  pour leur demander une reformulation en raison de la présence d’une lettre interdite. Par exemple la nécessité du remplacement du « qUe »,  le U passant inaperçu   comme voyelle, alors qu’il ne pouvait convenir  que dans Murmures en raison du bivocalisme en U-E.  J’ai  pu  constater que les rectifications demandées concernaient  uniquement le non respect de la contrainte choisie. Par ailleurs leurs prouesses incessantes, de même que la nature de leurs propos me ravissent encore. Des trouvailles culturelles ont été faites et j’ai pu conséquemment accroître mon répertoire référentiel.

Je tiens  à remercier  les 21  twittérateurs — mentionnés ci-après selon l’ordre alphabétique de leurs  pseudos —  qui m’ont si bien accompagnée  dans cette passionnante aventure  scripturale.  Il s’agit de: @Alcanter @arnaudesimon @cdure @cjmds301 @C_licare @coralinesoulier @czottele @FelixeBlizar @fonsbandusiae @georgesgermain @ivoix @jeanm4t @jmlebaut @lacmonique @lizieres @LucBentz  @meliemeliie @nathcouz @Strofka @Sylvain_Pierre @WinCriCri. C’est la première fois, et je  m’empresse de le souligner, que  parmi eux  se décèle la participation effective de deux  groupes d’étudiants,  guidés d’une part par Jean-Michel Le Baut (en France) et , d’autre part,  par Nathalie Couzon (au Québec).

De nouveaux défis oulipiens vous seront  proposés  au cours des prochaines  semaines et je souhaite ardemment  vous y  retrouver.

* Voir  le billet Un bien étrange lipodrome
**ARAGON, Louis (1969). Je n’ai jamais appris à écrire ou les  Incipit, Paris, Flammarion, « Champs », 148 p. ISBN 978-2805000098
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PASSAGES, IVRESSE, OSMOSE, MURMURES : Fictions bivocaliques twitteriennes et collaboratives


PASSAGES

Malgré les avalanches, des étrangères rescapées prennent le temps d’échanger entre elles après des descentes extrêmes. Elles se rappellent les échecs précédents et la perte lamentable de cette camarade de lycée. Les escarpements de ces pentes représentent de réels dangers. Cependant, année après année, elles avalent les pentes, les caps, les vallées, s’arrêter ? Nan. A cet âge, elles avancent et valsent. Elles attendent l’alarme, le branle-bas de la garde, la castagne préparée par l’armée des marchands de rêves. Marcher, haleter en caravane a donné  à ces femmes l’accès à l’espace, ce repère secret de l’âme cachée en la fardant.

Cependant, ces grands espaces de sable blanc n’effacent pas les traces de dérapage. Les sens en rappellent la présence à la pensée. Ces draps blancs rappellent les vacances avec Clara, la belle Allemande ! Cette nappe cependant… Cette nappe rappelle sa mère. Elles parlent lentement et avec tendresse de la scène passée. Elles parlent de cette mère dévastée par le décès de sa grande, de sa belle fée. Elles bavardent en excès et  en versant des larmes. Elles ressassent ce temps, l’enfant pâle dans la chambre écarlate avec sa grâce attachante. Elles se rappellent cet ange, décédé devant le phare, après tant d’années malade. L’âme s’en est allée vers cette cathédrale gelée.

Dans l’enfer blanc de ce désert alpestre, ces dames blêmes effacent l’alarme de l’âme en vastes et graves palabres. Elles se rappellent la caressante tendresse de cet adage tellement parlant : prendre le temps. Hélas, la glace gèle les faces effrayées. Des ténèbres s’échappe déjà la lente nef des archanges, et les belles rêvent de s’évader. Las, le malabar les attend, âpre et fat, sa large barbe cache la balafre blafarde de sa face. Sa rage fera date. Le mental s’exaspère. Trêve de blablabla, tchatter rend les nerfs acerbes et émèche les pensées.

Elles savent. Le gars entrera. L’absence dansera sans adresse, sans attache, dans la pesante avancée. Elles s’arment les regards. Le gars entre. Hagard, l’alpe a avalé  des gardes. Le malabar est mal barré. Les dames s’en emparent. C’est le drame. Rendre l’âme et passer l’âme à senestre. Les femmes  prennent le blâme. Pas assez affable. Elles partent. S’en aller vers l’absence en passant par Hyères. Les pétales s’étalent et la caravane passe. Les belles ne retardent pas le départ. Emma part vers le val et Nadja à Percé. Elle passe par La Plagne. La Plagne n’est pas la plage. Est-elle à la page? Pendant ce temps, le malabar râle. Rhâââ. Ah ce barbare mâle à bars ! En revanche, belle vengeance! À la chasse! Se pâmer devant cet âne hébété ? Pas elles ! « Ferme-la grand benêt ! » clama Nana, la belle plante.

Sans la rebelle Clara en allée, Emma, Nadja et Nana tentent de préserver des traces de passé. Elles se sentent dans le rêve même en se sachant dans le réel. Entre rêve et réel, révéler. Attablées, elles acclament cette manne d’éther, éphémère. Les larmes salent les sens. Avancer. S’enlacer. S’élancer. S’évader. Accepter de changer et cependant être les mêmes. Ensemble. Aller devant, aller.

Une collaboration de @Aurise @meliemeliie @WinCriCri  @nathcouz @lacmonique @georgesgermain @fonsbandusiae @cjmds301 @cduret @Sylvain_Pierre @jeanm4t @FelixeBlizar @LucBentz @Strofka


IVRESSE

L’immense tristesse d’Émile irrite Émilie. Elle l’invite près d’elle. Le film de Tintin les libère de l’emprise de cette pitié invisible. Ensemble, ils se grisent d’idées. L’hiver et le yeti s’emmêlent en ces esprits. Ils se sentent petits, étrécis. Des désirs ? Dire niet ensemble,  rire, expérimenter. Septembre : en crèche, le petit Émile, hier en étreinte de mère. Privé d’elle. Fini ? L’existence se fige et l’intimité résiste. Il insiste et il crie. Elle est timide et terrifiée. Le teint livide, elle se lève lentement, en silence. Elle décide d’intervenir.

Ces crises répétées révèlent l’intensité de ce fils très sensible. Émile, ce divin bébé Helvète, ce  petit Cid de crèche, revient de bien des périls et rit. Elle médite. Dilemme : verre plein ? verre vide? Énigme : tweeter, est-ce expérimenter l’irréversibilté ? Émilie rêve : hiver vénitien ? printemps de Kébec ? l’été, enfin ! L’irrésistible envie de glisser vers l’indécis, de virer le définitif, d’inspirer timidement le rire et signer le dernier billet. L’été, c’est  le temps  de prétendre cheminer vers mille merveilles  et en bicyclette. C’est célébrer cette vie en prince et en princesse (reine en définitive), c’est vibrer et distiller le  sens. C’est   relever le défi de briser l’indicible.

Émile est l’héritier : riche en temps de vivre. Résidences : les plis. Destin : le devenir. Rien ne le retient derrière. Il reprend le chemin et récite cette légende fétiche. Il rit Émile, il rit bleu, heureux de l’hiver. Le destin, il le vit libre et s’enivre. Il s’éprend de Siri, sylphide génie féminin.  Il grimpe vite en ce ciel de lit et se délivre de cette vie restrictive. Il est le « il » d’Émilie, le « il » d’Émile, le lié et le relié, le lien, le plein et le délié, le vide et ce qui s’y écrit. Le fil de cette vie le tire-t-il vers le vide, enfin ? nenni, le vif esprit crie le désir de vie, de rire et de liberté.

Sentir venir le désir; se tenir si près, si serrés; redéfinir le sien périmètre; s’écrier « viens! » et « je vis ! » Réitérer le rite, dire et redire les serments; s’il (elle) hésite, l’exprimer; éviter les pires ennemis, indifférence et tricherie. Émile cherche l’église : films mièvres ? livres d’hier réédités ? Internet et ses sbires ? inepte télé ? silences d’ermite ? Le  fils de Félix Leclerc? Brel? Ferré? Trenet? Higelin? Clerc?

Émile, en ce siècle de geek, est le king ! Le secret de Memphis Tennessee : mère et fils en vie. Ils méprisent l’ivresse : le verre s’est brisé, fini de rire. Le verre s’est brisé et le silence se tisse, pris de dépit en ces filets. Expirez, tristesse et envie! Et riez, ennemis! Ce rythme est mien, il dirige le vertige de l’esprit. Ces rires enregistrés me hérissent l’épiderme. Les lèvres fermées des fentes disent les feintes tentées.  Se retirer, indifférent, enceint de livres, de merveilles et périr enseveli de pierres tel le reptile de Des Esseintes. Émile s’ingénie indéfiniment et il s’extirpe des idées tristes. Il crie, insiste et Siri de venir. Minimiser l’incendie, minimiser l’incident. In extremis, inventer ensemble le chemin, revivre de livre en livre. Se perdre et rester zen. Générer de l’inventivité, réinventer le dire, incendier le pire et discréditer l’interdit. Éclipses de silence  délibérées et  envies insipides. Mine de rien, dire le rien de cette  vie inventée.

Le ciel est bien timide en ce printemps  givré. Les serins serinent les Titis.  Mille serinettes se répètent : « bip, bling, clic, chip, tweet ! » « Fi ! » s’écrie Cédric, « Cessez ces petits cris ! » Serins : incidents de l’esprit. Envie de dire, d’écrire l’infini mépris des vies. « Venez, petits ! » dit Friedrich Nietzsche, le génie. « Devenir est  inventif. Dépérir est périr. » Idée, Pensée, Essence… Les Titis, tout petits d’esprit, crient « Pitié ! Merci ! » Nietzsche résiste, persiste, insiste. Il existe. Émilie s’invite : « Lisez Nietzsche en ligne. Vive les wikis ! » Siri et Michel l’envient : ils ne pigent rien. Émile reste inerte. Petit Emile, élève de Michel Serres ? Rectificatif : c’est bien l’inverse.  Fils des Livres et d’Internet : enfin libre. L’ivresse de vivre. Vive l’ivresse ! Exit.

Une  collaboration de @Aurise @C_licare @coralinesoulier @jmlebaut @ivoix @fonsbandusiae  @Sylvain_Pierre @jeanm4t @czottele @nycu_cg @Strofka @lacmonique @lizieres @LucBentz  @cduret

OSMOSE

Des cloches sonnent. Dehors, Rose observe les portes closes en octobre comme des zones de repos et de secrets. De légers flocons tombent  et fondent. Le sol en est trempé. Rose erre. Elle gèle. Ses lèvres se collent. Le vent colore ses cernes. En colère, elle égrène des mots. Gros, les mots.  Ose, mémère, ose, se répète-t-elle. Elle se donne encore des noms, des drôles de noms même : ostrogoth, zozotte... et reste dehors.

Photographie de Andrew Kazmierski

Elle observe les flocons légers comme le coton, les récolte, les dépose contre son ventre rond. Morose, Rose se perd en ses songes, en son enveloppe corporelle, trop près de cette ombre, de cette honte, gonflement pervers. C’est encore ce moment de révolte! Elle entend l’enfermer et le celer profondément. Elle ordonne le repos de son entendement. Se reposer? L’entendement renonce. C’est con, non ? Elle cherche encore. Et, encore en rogne, elle cogne ses ongles contre le sol.

Elle redresse le front et porte son globe vers le nord. Personne! Le temps retors ronronne, félon. L’horloge dresse ses flèches et les cloches sonnent. Rose comprend : ses frères ont déserté. Même désespérée, elle reprend le lest. L’horloge dont le gong dévore les mortelles secondes, dont le tempo rosse le temps, sonne encore et encore. Rose se pelotonne contre le tronc de l’orme. Elle cherche le réconfort. Elle sent le bébé se démener. Son ventre prend des formes rococo. Oser cette  grossesse  comble son homme, son Orson drôle et poltron, fort comme le roc nommé en son nom.

Orson porte les  morts, Rose décore les tombes de bonbons et de pompons contre les sombres sorts des ombres borgnes. Contente de son monde, tête levée, elle cherche encore le  réconfort. Elle observe les rochers posés près d’elle : des noms, des éloges, des poèmes… Elle cogne. Toc Toc Toc? L’écho du roc sombre répond… Long choc contre les tombes.« Ô mortels, on se repose en nos rôles de héros, le décor orné se loge proche des oboles. » Rose répond: « ô ombres des contrées débordées, osez colorer mes démons, protégez Rose et Orson des consonnes effrontées ! » Rose reprend : « Frottez nos corps et nos vers blé pétrole.  » [ John Lennon en écho ]. Les fenêtres dont les rebords sont en or restent fermées. To be or not to be.. ( être Rock n’ Roll / être Emo.). Les flocons tombent en gros flots. Onc Rose fredonne ? Onc Rose ne fredonne, elle somnole.

Une collaboration de @Aurise @meliemelii @coralinesoulier @nathcouz @lacmonique @fonsbandusiae @Sylvain_Pierre @czottele @Strofka @LucBentz

MURMURES

Des nuées de ruptures musellent les excès et les rues désertes semblent devenues surréelles. Les  êtres que l’usure refuse de brûler demeurent muets. Les excuses fusent, c’est entendu. Le réel hurle et les rêves brûlent. Feulements et hurlements m’emmurent. Je rue, cruelle urgence, et eux me reprennent. Tu susurres. Tu me jures. Ce duel me rend peureuse et te met en feu.

C’est l’heure de se sustenter. Elle sert des légumes.   « En veux-tu? Heu… Je préfère me sucrer le bec. » « Veux-tu de belles prunes bleues? Heu… J’en veux seulement deux. » Le temps presse et  les deux se dépêchent.

Un lecteur peut être d’humeur et se penser devenu Freud.  Une perte de repères est en vue. Que  penser ? Refuser de rêver? Demeurer ensemble et rester frustrés ? Les deux se scrutent de près, se mesurent et se sculptent, étendus, tendus, sensuels. Plus de peur. Une lenteur meut le jeu pulpeux. Être sûr que ces cervelles rebelles et rêveuses restent jeunes une, deux ères de plus !

Les Muses s’émeuvent : une pure lueur de lune sur le mur brut est bue d’une plume sûre. Que cessent ces fumeuses pensées ! L’éphèbe peul se redresse sur ses humérus : une meute véhémente submerge l’entrée. Les keufs !  Meufs et keufs, femmes et enquêteurs, les gens  se terrent chez les Peuls, un peuple de légendes. De légendes peut-être et restent peu de Peuls repus. De plus, pleuvent sur eux Deep Purple et heureux-plus qu’eux. Sur les zébus, les Peuls s’en furent.

Quêteuses et quêteurs durent hurler une URL. Erreur: ce fut une questure. Les serrures étrusques rebutent les vents purs. Chut ! Entendre, fendre en secret les ténèbres muettes. Elles ululent, eux usent de fétus d’herbe sèche presque telles des flûtes. Plus de déjeuner sur l’herbe. Endless summer, l’été se meurt. Perdre ses vues sur le  futur. Ce n’est  qu’un jeu de mules têtues, qu’un feu du  vu, de l’entendu,  du lu et du prétendu. Des murmures que grugent les murs. Veulent réfuter une peur. Ne plus être esseulés: telle est leur quête.

Une collaboration de @Aurise @C_licare @coralinesoulier @arnaudesimon @LucBentz @georgesgermain @lacmonique @fonsbandusiae @Alcanter @czottele @Strofka @Sylvain_Pierre

Publié dans Écrits collectifs | Marqué avec , , , , , | Commentaires fermés sur PASSAGES, IVRESSE, OSMOSE, MURMURES : Fictions bivocaliques twitteriennes et collaboratives

Le bivocalisme vous intéresse?

Le trivocalisme apparaît  être une forme de lipogramme particulier puisque des voyelles se trouvent systématiquement occultées et que d’autres s’imposent. Les contraintes oulipiennes accentuent la centration sur la langue et les empêchements syntaxiques et lexicaux exacerbent manifestement la créativité. J’ai eu  la chance d’explorer sur Facebook, au cours  des dernières semaines, le trivocalisme en A-E-I dans Lipkae, en E-I-U dans Lipkao, ainsi qu’en A-E-U dans Lipolys avec Strofka Méop et quelques autres personnes invitées à participer  à ces groupes créés par lui. Je continue d’ailleurs toujours à le faire et ces pauses créatives ponctuent  bien agréablement mon horaire quotidien. J’ai eu le plaisir de relater  ces expériences enrichissantes dans un billet précédent intitulé Un bien étrange lipodrome. Parmi  les projets proposés, mon préféré a été Lipoyes, cette fois une expérience bivocalique en A-E. Cela m’a donné une idée.

Écriture collaborative, sur Twitter  cette fois !

Entre Facebook et Twitter des collaborations se tissent présentement en nanolittérature oulipienne et l’alternance dans la  fréquentation littéraire de ces deux réseaux me semble souhaitable.  J’ai donc envie de vous proposer de nouveaux défis en Twittérature collaborative, dûment inspirée par les idées de @Strofka, mais en reprenant la démarche utilisée dans les collaborations précédentes vécues avec ma communauté twitterienne. En guise de rappel, je vous invite à vous référer, sur le présent blogue, à la rubrique des Écrits collectifs où se trouvent un twitteroman sans E en  six chapitres Tourbillon, des fictions tautogrammatiques et monovocaliques, le recours à la contrainte oulipienne du prisonnier (Évasion) et un okapi misant sur l’alternance voyelles-consonnes (Ludovic). Une belle  brochette textuelle diversifiée qui n’aurait jamais pu  voir le jour sans la collaboration de généreux twitternautes talentueux et motivés.

Quatre défis simultanés

La barre est haute encore une fois puisque la langue en jeu doit se laisser  conquérir et nous émerveiller par sa richesse infinie. À partir de phrases inductrices, quatre défis distincts vous sont proposés. Seules les voyelles autorisées qualifient chacun  d’eux. Le premier défi reprendra le bivocalisme  en A-E et il sera sans doute un peu plus facile que les autres  puisque Lipoyes prouve déjà la richesse du vocabulaire pouvant être mobilisé. Dans Facebook, il s’agit cependant de commentaires réactifs et créatifs générés à partir d’une multitude d’ images ou de déclencheurs textuels proposés par @Strofka fournissant des ancrages thématiques bienvenus. Ici, il s’agira plutôt d’écrire en  collaboration des fictions narratives rédigées comme des  histoires en chaîne, donc en faisant nécessairement du pouce sur les tweets des autres participants pour s’assurer d’une certaine cohérence. Les  trois autres défis risquent de sembler légèrement  plus difficiles, puisqu’ils  exploreront de nouvelles combinaisons, à savoir le recours exclusif au E-i, au E-O et au E-U dans des fictions parallèles.

Pourquoi toujours le E ?

Si l’on tient compte  des lettres alphabétiques en français, on constate  aisément que le  E obtient la plus haute fréquence. Il est fort difficile de s’en passer et c’est pourquoi Tourbillon, twitteroman collaboratif  conçu en 2011 à partir de l’idée de Georges Perec (La Disparition) représentait un tel défi. Si le monovocalisme en E  est apparu nettement possible avec Effervescences , car Perec l’avait déjà prouvé dans Les Revenentes,  par contre celui en A-I-O-U s’est avéré beaucoup plus  limitatif au plan syntaxique. Cependant, puisqu’il s’est avéré possible de n’écrire qu’avec des E, il m’apparaît envisageable. en y joignant tour à tour  les autres  voyelles en autant de duos, de parvenir à des textes narratifs étonnants.

Rappel de la démarche de ces jeux  bien sérieux

1-Pour participer, il suffit d’acheminer  ses  gazouillis en inscrivant le #mot-clic désiré (voir ci-après).

2-Il importe de tenir compte des tweets précédents figurant sur le  fil de Twitter afin que la suite s’inscrive vraiment en continuité avec ce qui précède.

3-Il faut obligatoirement vérifier si ses tweets comportent exclusivement les voyelles ciblées (autrement, je me verrai malheureusement dans l’obligation de les refuser). Cela signifie qu’aucune autre voyelle n’est autorisée (à part le Y) même dans les mots-liens. Il faudra apprendre à se passer de certains mots, ce qui  complique la tâche mais rend les efforts en syntaxe encore plus intéressants.

4- À tout moment, il  est possible de modifier ses tweets en me le mentionnant en privé (pour cela il est nécessaire de me suivre @Aurise et que je le fasse aussi. Automatiquement,  si  vous participez, je m’engage à  vous suivre, donc ce sera fait de mon côté et cela  simplifiera nos échanges, s’il doit y en avoir.)

5- Je mettrai au fur et à mesure en ligne les textes en évolution en publiant en direct (liberté que je m’octroie) afin de vous faciliter le processus d’écriture grâce à la lecture des tweets amalgamés.

6- L’expérience sera de très courte durée (moins d’une semaine) et vous serez prévenus de la fin des projets. Les textes coproduits seront  ensuite  finalisés et comporteront quelques illustrations.

7- Je vous rappelle qu’il suffit d’une seule collaboration pertinente pour faire partie du collectif d’auteurs et que  votre  pseudo Twitter  figurera à la fin des textes auxquels  vous collaborerez.

Les défis bivocaliques proposés

#bivocEAACCABLEMENT– Malgré les avalanches, des étrangères rescapées prennent le temps d’échanger entre elles après des descentes extrêmes. Elles se rappellent les échecs précédents et la perte lamentable de cette camarade de lycée. Les escarpements de ces pentes représentent des dangers réels.

#bivocEIIVRESSE– L’immense tristesse d’Éric irrite Émilie. Elle l’invite près d’elle. Le film de Tintin les libère de l’emprise de cette pitié invisible. Ensemble, ils s’enivrent de vin béni et se grisent d’idées.

#bivocEOOSMOSE– Des cloches sonnent. Dehors, Rose observe les portes closes en octobre comme des zones de repos et de secrets. De légers flocons tombent  et fondent. Le sol en est trempé.

#bivocEUMURMURES– Des nuées de ruptures musellent les excès et les rues désertes semblent devenues surréelles. Les  êtres que l’usure refuse de brûler demeurent muets. Les excuses fusent, c’est entendu.

L’invitation est lancée

Dès maintenant, je vous invite à vous constituer des listes de mots pour votre usage personnel, de  mots  comportant uniquement  des E-A, des E-I, des E-O et des E-U afin de vous en servir dans vos tweets. Il y en a vraiment beaucoup plus qu’on ne serait porté à le croire au départ, car j’ai déjà commencé à affûter mon regard pour tenter de  les traquer.

Alors, ça vous tente de plonger encore une fois avec moi et de réussir à nous étonner les uns les autres ? Si vous y consentez, je vous attends avec joie dans la foulée des #mots-clics mentionnés ci-haut et je vous accompagnerai de mon mieux  tout au long  de cette expérience d’écriture à plusieurs mains. À tout moment, vous pourrez suivre l’avancement des textes sur ce blogue, car comme le dit si bien  ce proverbe africain, si ‘Tout seul, on va plus vite, ensemble on va plus loin ! » Le voyage est déjà commencé…

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Web 2.0, nanolittérature et OuLiPo : un trio gagnant en classe de français ?!


Monique, nous parleriez vous de Twittérature et Pédagogie ? Cette idée d’utiliser Twitter pour donner le goût du travail sur le langage et la langue à des étudiants, en lieu et place de considérer internet comme un lieu de perdition pour la jeunesse. Pourriez vous nous dire ce que vous pensez de twitter et de la twittérature ? Cette échange d’idées nous remettrait sur les rails. Nous parleriez vous de la manière dont vous concevez Twitter comme un outil créatif ? *

A
A
Prise en compte de l’interactivité du Web 2.0

Selon moi, le  mouvement de la nanolittérature, même s’il n’est pas récent,   gagne à être revisité à notre époque en fonction de l’impact des nouvelles technologies. Je vois les Twittérateurs  en tant  que des scripteurs polyphoniques, puisque chacun peut y trouver  sa voie en plus d’y manifester une voix spécifique  qu’il peut décider ou non de conjuguer avec  celles des autres. Dans mon esprit, c’est l’interactivité du Web 2.0 qui entrouvre une multitude de possibilités,  selon la manière de l’aborder. Certes,  il est bien agréable d’écrire tout seul et de proposer à ses lecteurs le fruit de son labeur effectué ou en devenir. Mais expérimenter l’écriture à plusieurs, que l’on collabore à distance ou non, me semble correspondre à une valeur ajoutée,  surtout lorsque l’on apprend à écrire.

De la solitude des pratiques à la collaboration induite

Les pratiques actuelles que sont le tweet ou le twoosh (tweet parfait comportant exactement 140 caractères) peuvent constituer, par addition ou cumul des  gazouillis produits,  des écrits   plus substantiels comme des romans ou des récits factuels. Plusieurs auteurs se prévalent d’ailleurs de cette opportunité et il est bien agréable   pour le lecteur d’avoir accès au compte-gouttes à des oeuvres en élaboration, de plus ou moins grande envergure,   et qui semblent être en  train de s’écrire. On pourrait croire que cette  pratique réactualise les feuilletons d’une autre ère et que Balzac aujourd’hui écrirait sur cette plateforme.

J’ai moi-même  eu souvent recours à cette stratégie du cumul de tweets pour constituer des écrits longs sur le présent  blogue  (voir la rubrique des Écrits collectifs) à partir de plusieurs  défis successifs proposés à la communauté twitterienne,  donc qui s’inscrivaient plutôt   dans une perspective collaborative. À mon avis, le Web 2.0 m’apparaît induire dans le champ de l’écriture à l’école des horizons encore peu explorés si l’on souhaite prendre en compte la puissance de l’interactivité qui le caractérise.

Twittclasses et réseaux sociaux

La dimension  de l’écriture  interactive sur les réseaux sociaux demeure infiniment problématique. Actuellement,  les jeunes   y écrivent de manière fort assidue et ils n’ont effectivement jamais écrit autant hors des murs  de l’école. Cependant,  ces pratiques s’inscrivent généralement dans le cadre de leur vie privée et non pas  scolaire, sauf à de bien rares endroits où des Twittclasses  francophones existent. Évidemment,  il s’avère précieux, pour accroître la pertinence des apprentissages scolaires en français, que les élèves ressentent la  présence d’un constant lectorat  pour  générer le souci d’une orthographe conforme et la nécessité d’une syntaxe adéquate afin d’être lus plus facilement et mieux compris. Les jeunes qui sont des « natifs du numérique »   se trouvent véritablement  interpelés par le recours à des plateformes comme Twittexte, et les expériences menées par Jean-Yves Fréchette*** et l’enseignante Annie Côté de l’Institut de Twittérature comparée en témoignent déjà éloquemment. Malheureusement ces expériences demeurent pour l’instant encore trop marginales.

De Twitter à Facebook

Les  écrits sous forme de micro entités distinctes ou de fragments caractérisent les écrits produits sur Twitter. En recourant  à des #mots-clics, il est facile de diriger les tweets à rassembler ensuite avec  Storify qui les replace dans  une verticalité conforme. La Twittérature collaborative bénéficie grandement de ces  façons de faire. Qu’en est-il cependant pour Facebook ?

Après avoir  piloté  les 3 Word Story** actuellement, Strofka Méop expérimente, avec quelques personnes invitées et qui participent  sur une base volontaire Ce sont  des propositions qui m’apparaissent nettement innovatrices, car il a  judicieusement détourné    à des fins  d’écriture interactive et collaborative les espaces  réservés aux commentaires réguliers sur FB.  Il a créé plusieurs groupes d’écriture qui explorent parallèlement des lipogrammes  vocaliques, à savoir Lipkae, Lipolys, Lipoyes et Lipkao. À l’intérieur de chacun d’eux, il a d’ailleurs articulé un très grand nombre de  propositions visuelles et textuelles fournissant à l’esprit des ancrages thématiques (ex. oeuvres d’art, photographies, poèmes isocèles, phrases inductrices, clips vidéo, ready made) afin de cibler davantage  un travail sur la langue en raison  des contraintes  bivocaliques et trivocaliques  exigées. Il est en train, selon moi,  de donner indirectement un nouveau souffle à  la didactique de l’écriture   en  entrouvrant des horizons encore inexplorés  qui   me semblent susceptibles de  rejoindre davantage les jeunes de ce nouveau  siècle. En effet, l’objectif de l’école consiste, à l’égard de l’écrit, non seulement à faire acquérir les règles grammaticales dont la maîtrise est essentielle, mais également à développer des compétences scripturales de haut niveau, en développant de surcroît une sensibilité esthétique et  en faisant  en sorte que la langue devienne un puissant outil, non seulement  de communication, mais également pour exprimer toute sa créativité.

Avantages du  recours à l’OuLiPo

Depuis longtemps,  la didactique du français bénéficie des sciences contributoires et  plus précisément des propositions issues de  la théorie du langage, de la littérature et de la linguistique. Malheureusement, l’OuLiPo est relativement peu connu et il n’est donc pas encore devenu ce merveilleux ouvroir qu’il pourrait être dans les salles de classes du Québec  et d’ailleurs. Des transpositions didactiques restent à faire, à expérimenter et à valider. Le recours à des contraintes linguistiques (ex. lipogrammes, tautogrammes,…) nécessite une centration sur la langue qui ne peut  que servir la didactique de l’écriture et susciter l’utilisation constante de ces outils en ligne que Strofka Méop appelle si justement des « béquilles textuelles » (ex. dictionnaires de synonymes, listes alphabétiques de mots) Puisque  la classe de  français vise notamment à outiller les élèves au plan du lexique et de la syntaxe, et  comme les empêchements relatifs aux contraintes  nécessitent des contournements, ces interdits ne peuvent que s’avérer salutaires et soutenir  le défi que représente pour  l’école une écriture désormais plus littéraire.

Par où commencer ?

Mais avant  de songer à des transpositions didactiques recevables, encore faut-il avoir soi-même exploré la nanolittérature jouxtée aux contraintes oulipiennes et surtout  à l’interactivité de certaines plateformes comme Twitter et Facebook. C’est dans cette optique que j’ai lancé au cours des deux dernières années un certain nombre de défis oulipiens en twittérature collaborative. La nouveauté consiste non pas dans ce recours à des défis d’inspiration oulipienne, mais plutôt dans   leur jonction avec les possibilités du Web2.0. En témoignent les  textes figurant dans la rubrique des Écrits collectifs de mon blogue Éclectico (ex. Twitteroman sans E Tourbillon, monovocalisme avec Effervescences, contrainte  du prisonnier avec Évasion, okapi avec Ludovic ). Tous ces textes proviennent de l’amalgame de tweets de nombreux participants du Québec et d’ailleurs (surtout de France), et leurs gazouillis rassemblés sous un mot-clic ont été recueillis à l’aide d’outils semblables à  Storify  avant de se retrouver illustrés sur mon blogue. Jusqu’à présent, ce ne sont pas des élèves, mais bien des internautes adultes qui ont relevé avec brio ces défis collaboratifs oulipiens, même si j’ai la naïveté de croire que certaines personnes ont tenté de les transposer  par la suite  en salle de  classe.

Si j’ai tenté d’esquisser des assises  théoriques pour  ces nouvelles pratiques rédactionnelles, ce fut principalement en prenant  appui sur la Textique de Ricardou (voir Textique et jeux textuels ). Il suffit de se référer à la rubrique des Explorations et découvertes (ex. Envie de revisiter l’OuLiPo?; Twittérature,  formes brèves et contraintes bénéfiques) de même qu’aux Réflexions et dérives formulées après avoir effectué des constats significatifs (ex. Quelques réflexions sur le monovocalisme apprivoisé; Scriptures, textures et tautogrammes; Retour sur l’expérience du twitteroman sans E).

L’exploration se poursuit

Je reconnais avoir délaissé  depuis quelques semaines Twitter pour explorer parallèlement les possibilités de Facebook en écrivant avec d’autres personnes dans les divers groupes d’écriture lipogrammatique créés par Strofka Méop (Lipkae, Lipolys, LipoyesLipkao). Cependant,  je maintiens mon intérêt pour Twitter et de nouveaux défis d’inspiration oulipienne seront proposés aux Twitternautes au cours des prochaines semaines. À la suite de mes expériences personnelle sur Twitter et Facebook, je constate encore plus l’importance de l’interactivité et l’intérêt manifeste des contraintes oulipiennes. La perspective du  recours à des déclencheurs  textuels, sonores et visuels entrouvre également pour les salles de classe des horizons thématiques qui ne peuvent que s’avérer inspirants.

À l’ère de la collaboration  et du travail coopératif à l’école, la mise en commun des ressources de chacun ne peut  que maximaliser le plaisir d’écrire (Voir à cet  égard l’entrevue accordée au Café pédagogique en avril 2012). Si, en nanolittérature, les textes contraints sont encore peu nombreux, ils le sont encore moins lorsqu’il s’agit d’écriture interactive et collaborative. Certes, Twitter  permet d’explorer cet  espace restreint et simultanément immense, mais Facebook  permet aussi d’entrevoir de nouvelles possibilités.

C’est à suivre…

*Réponse formulée à la demande de Lirina Bloom  et destinée en priorité au groupe de Twittérateurs sur Facebook.
**Voir mon billet consacré aux 3WS : Incursions facebouquiennes en…3 mots. (juillet 2011)
*** Lire les propos complémentaires de Jean-Yves Fréchette « Twittérature et pédagogie ».

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Un bien étrange lipodrome !

Entre l’Alpha et l’Omega, un bel espace de jeu !


L’effet contrainte

Grâce à Strofka Méop, j’ai passé l’été 2012 à jouer intensément avec les mots tout en apprenant  à me passer systématiquement des O et de quelques autres voyelles. En effet, il s’agit de  la constante observée dans les divers  lipogrammes qu’il propose ces temps-ci sur Facebook de manière innovatrice en recourant aux possibilités du Web 2.0 axé sur l’interactivité. Lorsque l’on tient compte de la fréquence des lettres dans la langue française, on constate aisément que  toutes les voyelles occupent les premières positions (ex. le 0 est en  10e place). Voilà pourquoi  les projets lipogrammatiques et vocaliques proposés par @Strofka représentent des défis formels aussi  exigeants. Cependant, si l’écriture apparaît contrainte, la lecture l’est tout autant puisqu’elle agit nécessairement comme tremplin à l’égard  de l’écriture des fragments subséquents.

Des 3WS * à Lipkae, Lipolys, Lipoyes et Lipkao

Ainsi donc, j’ai  été invitée, il y a quelques semaines,  à explorer avec d’autres personnes   de nouvelles formes d’écriture collaborative,   à l’intérieur de ces  groupes que Strofka Méop a lui-même créés sur FB. Je me souviendrai longtemps  de mon premier « commentaire »  qui n’était aucunement pertinent puisque je n’avais pas encore compris qu’il avait détourné cet espace facebouquien. réservé habituellement à des commentaires réactifs. à des fins de cocréation scripturale et cela  à partir de divers déclencheurs, un détournement que je trouve infiniment percutant. Au début du mois  de juillet 2012, il n’y avait  que deux propositions  dans Lipkae, le premier de ces groupes, esquissées à partir de deux oeuvres picturales Le Baiser de Klimt et Les Amants de Magritte  Depuis, la démesure s’est installée  et  il a créé trois nouveaux groupes   dans lesquels il a mis en ligne  des centaines de déclencheurs  imagés,   tout en invitant  les collaborateurs désireux de s’impliquer  davantage à en faire autant.

Quels sont donc ces collectifs d’écriture lipogrammatique  qui s’inspirent de déclencheurs visuels (œuvres d’art, photographies, clips vidéo) ou textuels (poèmes isocèles, « ready-made » ou  phrases inductrices) ? Il s’agit actuellement  d’un quatuor autorisant diverses haltes  à fréquenter  à sa guise, à savoir  :

Lipkae : trivocalisme en A-E-I (donc sans O-U) (ex. Stalactites échevelés de l’hiver installé./Dans le lit des livres, se perdre sans arrêt dans des vies parallèles imaginées./Les ciels recèlent des images remplies de frénésie./Affirmer sa dissidence en affichant sa résistance à l’égard des intempéries de l’existence.)

Lipolys : trivocalisme en A-E-U (donc sans O-I) (ex. Brefs enchantements des eaux stagnantes dans le flux du temps./Traces de passé, avant les ratés d’un futur en marche./Dans ce champ déserté, les fleurs s’amusent entre elles/ Enflammer l’amertume, déserter le superflu./ Embûches et blessures, certes l’heure est grave.)

Lipoyes : bivocalisme en A-E (donc sans O-U-I) (ex. Penser à ce  cacher dans l’espace béant./Ne pas désespérer et chercher davantage./Tester sa dépendance à ce réel tenace./D’amples ténèbres se déversent et les gens se révèlent./S’engager dans l’écart, se passer des regards.)*

Lipkao : trivocalisme en  E-I-U (donc sans O-A) (ex.  Sur le seuil interdit, hésiter et s’enfuir./Zeus très épris et réfugié en cygne près de Némésis./Subvertir le verbe, épuiser le lexique, s’éclipser derrière les embûches du sens./Le printemps reprend vie en ces lieux de sécheresse./Encerclement  régulé et déréglé en même temps.)

Puisqu’il s’agit de  groupes ouverts, chacun peut, en activant les liens ci-dessus, accéder sur FB aux  collaborations inscrites, mais sans cependant pouvoir y participer. En effet, pour s’impliquer activement, il est indispensable d’avoir été invité au préalable à faire partie de ces groupes.

Et ce lipodrome ?

Ces quatre groupes sont présentement regroupés sous le sigle rassembleur de Lipodrom nommé ainsi en raison d’un jeu de mots paronymique. C’est ainsi que le vaste  lipodrome créé par  Strofka consiste en un circuit  scriptural articulé autour de contraintes lipogrammatiques.  J’y  vois un  paronyme d’hippodrome autorisant uniquement  des courses hippiques ou équestres. Dans  ce  lipodrome textuel porteur, on trouve  essentiellement divers lipogrammes collaboratifs, à savoir Lipkae, Lipolys, Lipoyes et Lipkao dont les noms pourraient presque  s’apparenter à des noms de chevaux. Il est même possible d’induire  des gradins virtuels, car des spectateurs-supporteurs  lisent effectivement  les textes sous contraintes produits  sous leurs yeux. Dans ce lipodrome  singulier, il n’y a pas de vraiment de course entre les participants  qui évoluent dans des espaces-temps parallèles  (très souvent en différé ou de manière asynchrone),  mais qui parviennent occasionnellement à se  rencontrer virtuellement, ce qui  suscite l’intense bonheur d’échanges  simultanés.  Il peut arriver également qu’un type de lipogramme   puisse se révéler momentanément plus populaire. Personnellement, mon préféré  demeure Lipoyes et je n’en reviens    pas de constater à quel point la langue française est riche  puisqu’il  est possible de produire autant de sens et de  beauté  uniquement à partir des  voyelles A et E. (Voir l’exemple ci-dessous.)*

Quelques constats en guise de bilan provisoire

Force est de reconnaître que ces projets s’inscrivent en continuité avec les explorations vécues au cours des mois précédents à l’intérieur des 3 Word Story (3WS), un fabuleux creuset d’expérimentations textuelles où des dizaines de contraintes ont été considérées et assumées de manière collaborative  (Lire mon billet publié en juillet 2011 : Incursions littéraires facebouquiennes…en trois mots). La richesse  des déclencheurs utilisés maintenant fait en sorte que les productions interactives  en cours m’apparaissent nettement supérieures aux précédentes étant donné qu’elles s’inscrivent  dorénavant  hors du cadre restrictif des trois mots précédemment exigés. Puisque ce n’est plus le « quoi » dire qui devient la préoccupation centrale,  mais  bien le  « comment » le dire, l’écriture  donne lieu à des recherches lexicales et syntaxiques beaucoup plus poussées.

Au cours des dernières semaines, si  j’ai participé régulièrement et avec grand plaisir à ces expériences de nanolittérature en ligne,  je l’ai fait le plus sérieusement possible.   J’ai certes trouvé avantageux de pouvoir modifier ou de supprimer  à l’occasion mes  propres commentaires sur FB, car lorsque  les contraintes linguistiques diffèrent, parfois la confusion s’installe et des erreurs surviennent.  On peut facilement se croire dans Lipkae (avec des A-E-I) alors que l’on est dans Lipoyes (seulement des A-E). La plupart du temps, on le constate après coup, mais très souvent Strofka,  le maître des lieux et de  ces jeux,   nous le signale délicatement et   plutôt discrètement. Son niveau d’exigence  est tel qu’il m’amène constamment à me dépasser  et à reculer mes limites, ce que j’apprécie vivement.  En plus de devoir occulter certaines voyelles,  il y a  parfois des contraintes additionnelles  à  considérer, par exemple rédiger en alexandrins.  Étant donné qu’au Québec on avale fréquemment les  finales de mots,   et que pour compenser j’essayais d’articuler  à outrance, j’ai dû revisiter à maintes occasions des formulations qui contenaient  13 pieds en France alors que je calculais qu’elles n’en comptaient que 12 pour moi sans doute en raison de l’incidence de la langue parlée localement sur la langue écrite. Je remercie Strofka pour sa  vigilance à cet égard.

Il est arrivé également qu’une image traitée dans Lipkae (avec des A-E-I) puisse l’être simultanément dans Lipoyes (avec seulement  des A-E) ou dans Lipolys (avec  des A-E-U) et même dans Lipkao (avec uniquement des E-I-U). C’est plutôt mélangeant lorsque l’on participe souvent et que l’on croit avoir inscrit une contribution à un endroit précis alors qu’elle se trouve ailleurs. Des erreurs  inévitablement  surviennent.  De plus, puisque le maître de ces espaces ludiques reprend, réutilise et greffe pertinemment certains énoncés en les insérant sous forme de citations avec les initiales de l’auteur concerné (ex. MLP dans mon cas),  il arrive que l’on retrouve ses propres fragments ou écrits en exergue ou en incipit pour générer de nouveaux textes collaboratifs. En les rencontrant dédoublés à des endroits non prévus initialement, un effet de surprise se produit et des entrelacs se tissent entre les textes et les divers projets.

Page Facebook et PDF

Étant donné que certains  collaborateurs ont désactivé au cours de l’été leurs comptes Facebook, leurs contributions ont  été instantanément drainées et effacées, autant  en ce qui  a trait aux déclencheurs visuels insérés  qu’en  ce qui concerne les commentaires y étant rattachés. Cela a accru la nécessité de conserver ce genre de données  extrêmement volatiles  en raison de  ces pratiques faisant appel  à des immatériaux. J’ai d’ailleurs appris récemment qu’il est possible de transformer en PDF  les pages  FB dans  leur  intégralité à condition toutefois d’ouvrir manuellement au préalable tous les commentaires recensés sous chaque proposition  et en choisissant ensuite d’imprimer ( eh oui) en format PDF l’enregistrement des  données. De cette façon,  les traces sont conservées, autant les images que les textes en plus des noms des contributeurs et les dates de collaboration. Étant donné le grand nombre de propositions  en mesure d’être traitées, j’ai constaté que leur ordre se modifie selon les sélections les plus récentes opérées par les  participants. La séquence se déplace ainsi constamment et l’emplacement des propositions diffère  conséquemment d’une fois à l’autre. Ainsi, certaines propositions, un temps délaissées, refont inopinément surface lorsqu’elles sont considérées de nouveau  et qu’elles inspirent un joueur. Vous  pourrez voir ci-dessous où en sont les collaborations actuelles pour chacun des  quatre groupes, cette fois mémorisées  en format PDF, mais qui ont encore évolué depuis ces prélèvements en date du 13 septembre dernier.

Retombées immédiates et envisageables

En plus d’avoir développé une plus grande aisance scripturale au cours des derniers mois, j’ai obtenu de nombreux  bénéfices collatéraux : intensité du plaisir cognitif, abolition de la durée, nombreux moments d’euphorie, jouissance esthétique, intensification  de la connivence, accroissement de ma sensibilité poétique,  fluidité acquise   envers le respect des contraintes, valorisation de mes trouvailles lexicales ou syntaxiques (ex. les aime ou like), présence de commentaires adjacents encourageants, tout cela en plus de me faire des amis virtuels avec lesquels j’ai pu échanger fréquemment  à propos d’écriture et de stratégies rédactionnelles en raison des conversations parallèles vécues dans l’espace de  clavardage. (Je remercie particulièrement Annalisa Andreoli à cet égard).

Je reconnais que  le plus important pour moi, en tant que didacticienne (car je ne suis  ni poète, ni romancière), c’est d’avoir eu l’occasion, pendant la période estivale, de faire de la recherche et du développement en fonction  de transpositions didactiques  possibles éventuellement. En effet, les propositions de  Strofka Méop m’apparaissent  extrêmement porteuses   et il me semble qu’en s’en inspirant  davantage on pourrait donner aux  jeunes le goût de développer une écriture littéraire  en les incitant  à jouer avec la langue tout en les mettant  dans la nécessité de consulter les très nombreuses ressources disponibles en ligne, ces fameuses « béquilles textuelles » qualifiées ainsi par Strofka et qui feront l’objet d’un prochain billet.

Je crois qu’en explorant minutieusement des avenues scripturales nécessitant une centration sur la langue,  il est possible de se sentir plus   outillé pour articuler en didactique de l’écriture diverses  pistes  reposant sur la matérialité du langage dans la foulée des travaux accomplis au cours des dernières décennies par  Claudette Oriol-Boyer, mais cette fois avec les outils du Web 2.0  nous  invitant implicitement à resserrer l’axe de lecture-écriture lorsque l’on se situe dans une  optique de cocréation. Cette démarche davantage poétique (et par moments descriptive) s’inscrit parfaitement à la suite des expériences twittéraires oulipiennes interactives menées dans le champ narratif avec  quelques internautes au cours des derniers mois et qui  ont été  recensées dans la rubrique des Écrits collectifs de ce blogue. Ces écrits ont d’ailleurs donné lieu à des réflexions parallèles également partagées dans l’une des rubriques intitulée cette fois Réflexions et dérives. Je  désire préciser que la plupart de ces écrits dérivent des expérimentations préalables ou parallèles vécues dans les  3 Word Story animées par Strofka. (Voir la rubrique Explorations et découvertes).

 

Je suis consciente du chemin parcouru depuis l’invitation de @Strofka à la première 3WS  au cours de l’été 2011.  Je ne le remercierai jamais assez pour son  mentorat exceptionnel et pour ce souffle de liberté  et d’innovation qu’il a consenti à partager.  J’espérais (et j’espère toujours)  avoir  le bonheur de le recroiser en d’autres espaces scripturaux virtuels fascinants.  Je dois reconnaître que l’aisance s’acquiert en raison d’un tâtonnement expérientiel incontournable  et qu’il m’est beaucoup plus facile  actuellement de respecter les contraintes  exigées que lors de mes premiers essais. J’avoue qu’il m’est arrivé dernièrement d’écrire involontairement en Lipkae –sans O ni U- comme s’il s’agissait d’une langue  étrangère en voie d’être maîtrisée et même de produire des alexandrins avec seulement des A-E sans  en arracher autant qu’il y a plusieurs semaines.

Ces collaborations estivales se poursuivent actuellement et elles sont (croyez-moi) nettement addictives. Cette centration sur la forme suscitée par le respect de contraintes linguistiques  déterminées procure indéniablement des bonheurs avérés, mobilise intensément l’esprit de l’amateur et sémantise le quotidien en plus de susciter  des métaréflexions jouissives à propos du langage.

* EXEMPLE extrait  de Lipoyes et  créé en alternance avec Strofka Méop. Il s’agit d’un lipogramme trivocalique  n’ayant pas de I,  ni de O, ni de U et imaginé à partir d’une image à commenter :
« Échanges entre ces êtres excédés cherchant à se remettre des élancements de l’âme. Ces gens cherchent à s’entendre et à dépasser les éléments sans cesse répétés. Parler. Parler est le verbe. Le verbe est parlé. Parler sans cesse et se reprendre. Prendre le temps d’être, d’ensemencer le verbe. Se passer des phrases ternes et préférer les rebelles. Préparer ensemble des plans d’escapade. Réparer en secret des ferments d’escalade. Se partager les restes, en prenant le temps en esclavage. Parlementer sans verbe et parler là sans verve. Parler, parler, parler  en essayant tellement de s’entendre.   S’entendre, se regarder, échanger, partager tant de clés. En remettre, dégager la rareté, resté  centré. Rester zen. S’embêter en mentant, attendre l’exemple décapant. En revanche, lancer la balle à l’avenant. Palabrer en Allemand et en Flamand en se lançant des pavés. Des pavés dans la mare de café. Le café des tarés en alternance. Le présent est dans le pré. Et le pré est l’enchantement extrême. Être près de l’enchantement est extrême. »(Strofka et MLP)


Lipkao


Lipoyes


Lipolys


Lipkae
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Quelques réflexions okapiennes


La légèreté de Twitter contre la lourdeur des contraintes

On évoque souvent avec raison la rigidité de l’OKAPI* ou ses impossibilités. Pour relever le défi de rédiger en collaboration sur Twitter un texte  zébré oulipien, il s’agissait de respecter une alternance TRÈS stricte de C-V-C-V-C (consonne-voyelle-consonne-voyelle-consonne)  à l’intérieur des mots, entre les mots et idéalement entre les phrases inscrites  en continuité. L’invitation a été lancée le 29 avril 2012  Pourquoi pas un okapi? Pour y participer, il suffisait de  se rendre sur Twitter à #tweetokapi

Pour constituer LUDOVIC,  un bien  long  okapi oulipien, 19  twittérateurs volontaires  ont reculé les limites du possible et ont produit, en moins d’une semaine,  un total de 82 tweets  dont  certains contenaient plus d’une phrase.   En décortiquant cet amalgame textuel, j’ai pu constater que 16  participants en ont envoyé moins de 10, que cinq  d’entre eux ont limité leur participation  à un seul tweet,  et que trois  twittérateurs en  ont commis entre 10 et 20. À certains moments,  plusieurs tweets  consécutifs ont été envoyés par une même personne. On notera, à de rares endroits, entre les tweets, un assouplissement de la contrainte autorisant quelques frictions entre voyelles ou consonnes en raison de la participation des nombreux partenaires.  Je  remercie et félicite chaleureusement les twittérateurs qui m’ont si bien accompagnée dans ce projet et qui ont osé relever avec talent  et générosité ce défi particulier :   @ZeoZigzags @Strofka @charliebuz @cduret @Alcanter @fonsbandusiae @Aunryz @hmansier @nathcouz @drmj @georgesgermain @Écot_du_Silence @Alex_Acou @Forgasm @Forkast @CarineNaudin @machinaecrire @AndreRoux


Un tel jeu twittéraire peut rapidement devenir chronophage  tant il peut être absorbant. Une demi-heure et même davantage pour n’écrire qu’un seul tweet… eh oui c’était chose possible. Comme l’a relevé @charliebuz « C’est vraiment une contrainte complexe, le temps d’écriture du tweet est multiplié par…20! » même si on peut s’y amuser beaucoup dès que l’on a un petit moment  @cduret reconnaît : « J’y prends beaucoup de plaisir, tout en travaillant ! Cela me donne des idées d’activités avec mes élèves ». Le niveau de difficulté était tel qu‘il en a  dissuadé plus d’un.   Ainsi, il a contribué à attirer certains mordus de la langue mais en a éloigné d’autres qui  ont préféré suivre ou encourager les participants. Qu’ils soient ici remerciés pour leur précieuse solidarité. Leur vigilance (au sens latin du terme)   aura permis que soient  signalées gentiment aux  auteurs concernés (en mode semi-public ou privé)  certaines frictions de voyelles ou de consonnes. Voilà pourquoi les avantages du réseau social m’apparaissent indéniables puisque  ce genre de défi   semble  à peu près  impossible  à  relever aussi agréablement  tout seul. Afin d’être en mesure d’apprécier  véritablement l’ampleur du défi, la force des images trouvées   en dépit (ou en raison)  de la contrainte oulipienne privilégiée,   de même que la satisfaction du travail accompli, il faut vraiment avoir  essayé d’y collaborer, ne fut-ce qu’une seule fois. Il s’agissait d’un jeu twittéraire peut-être, mais on constatera par le résultat que l’on est loin du n’importe quoi et que les participants qui ont  pris part à ce jeu l’ont fait   très sérieusement.

Enjeux collaboratifs et scripturaux


L’un des participants @Alex_Acou a mentionné ceci : «Je trouve l’activité assez euphorisante même si la technique prend un peu le pas sur la création… quoique…» En effet, ce « quoique » est porteur : Comment concilier un espace oulipien et une  recherche minimale de sens? La question est demeurée constamment sous-jacente. Il aura fallu consentir à  une  recherche optimale de la cohérence en dépit des empêchements syntaxiques ou lexicaux. J’avoue m’être  sentie   déstabilisée  quand plein de nouveaux personnages sont subitement apparus dans l’histoire. Quand le texte semble stagner ou aller dans  toutes sortes de directions, il arrive que quelqu’un agisse et  offre une avenue de résolution, ce qui fut le cas lorsque l’un des participants @georgesgermain a fait allusion au cinéma et à une école, ce qui a fait basculer le récit initial et entrouvert d’autres horizons possibles. Parfois,  il suffit d’un seul énoncé pour relancer le tout et réorienter un récit dans une histoire en chaîne.  Cependant, il faut consentir à renoncer, à quitter ses représentations mentales pour adhérer à celles des autres dans une bataille pour le sens, même si ça ne nous convient pas, apprendre à concéder pour que le texte fonctionne quand quelqu’un impose sa représentation et entraine  tous les participants dans une nouvelle direction. La contrainte attise la créativité  et je reconnais que la nécessité est souvent la mère de l’invention.


Écrire ensemble oui, mais à quel prix ? Il faut certes pouvoir  mettre son ego de côté en consentant implicitement à fusionner ses tweets avec ceux des autres participants sans être   identifié autrement que par  les traces qui demeurent dans les TL individuelles. La publication en direct a eu de nets avantages lors de cette expérience   puisque les gens ont beaucoup vérifié les tweets d’autrui de sorte que j’ai reçu beaucoup d’aide. Il n’était pas évident de détecter   les frictions de consonnes ou de  voyelles passant trop souvent inaperçues. Il y a eu également des rectifications spontanées d’écarts pour les frictions de voyelles et de consonnes moins apparentes entre les mots et entre les phrases qu’à l’intérieur des mots.  L’un des participants @Aunryz nous a même offert un testeur d’okapi pour nous faciliter le repérage des erreurs inévitables. C’était tellement exigeant que @mapav8 y a même vu  la démonstration de ce que  pourrait  être le français sans graphèmes muets,  ni doubles consonnes, ni voyelles amalgamées,  ni homophones.

J’ai été éblouie par la créativité déployée par les participants. Puisque  plein de mots ne pouvaient être utilisés en raison de la contrainte d’alternance binaire, il devenait  extrêmement difficile de dire ce que l’on  voulait  dire. Cela nous aura permis non seulement de lire pour accéder à une histoire, mais aussi pour  se réjouir du  respect de la contrainte si belle et apprécier les trouvailles des autres collaborateurs en  vivant  des moments d’euphorie puisque l’on repousse l’art de  dire dans un tel  resserrement de l’axe de lecture-écriture.

Stratégies porteuses et amusements périphériques


Certes les mots stimulent et génèrent des idées puisqu’il faut trouver autre chose à dire quand il est impossible de dire ce que l’on souhaite. Mais, comment écrire  en maintenant l’alternance voyelle-consonne? Voici quelques-unes   des    stratégies utilisées pour trouver des mots respectant cette  contrainte oulipienne :

  • Mobiliser son attention pour regarder les mots autrement
  • Prêter une attention toute neuve aux mots entendus ou lus
  • Inverser ou déplacer les mots dans un énoncé   (ex. Une balade ranimera le désir eT Ravira la dame  =  Une balade ravivera le désir et animera la dame.)
  • Supprimer un ou plusieurs mots qui ne fonctionnent pas dans un énoncé et conserver le reste
  • Puiser dans des banques de mots en ligne commençant par une consonne ou voyelle  et détecter ceux  qui véhiculent cette alternance
  • Consulter en ligne les banques d’adjectifs et d’adverbes pour en trouver qui respectent le jeu d’alternance
  • Feuilleter intentionnellement toutes sortes d’écrits (ex.  dictionnaire,  romans,  brochures, atlas)
  • Survoler des sites  Web, le fil Twitter, les journaux en ligne
  • Miser sur la proximité sémantique des mots quand l’alternance est recherchée (ex. cinéma mais non théâtre)
  • Se constituer une  banque personnelle alphabétique de mots et  puiser dedans
  • Réutiliser les mots des autres participants dans de nouvelles phrases
  • Substituer un mot par un autre (ex. Caroline pour remplacer Aline  puisqu’il fallait un  prénom commençant par une consonne et finissant par une  voyelle).
  • Privilégier le recours à certains temps de verbes (ex. oN Va déménager = on a déjà déménagé)
  • Éviter systématiquement certains pronoms (ex. ils, elle, nous, vous) pour n’en retenir  que certains qui conviennent (ex. on, il, je, tu)
  • Apprendre à se passer de mots fréquents (ex. ou, qui, que)
  • Substituer un mot à un autre pour respecter le jeu d’alternance
  • Entrouvrir et coloniser des champs sémantiques (ex. noms de lieux, de personnes, d’automobiles, de mets, œuvres musicales ou artistiques)
  • Modifier des énoncés existants prélevés ça et là
  • S’inspirer de textes connus (ex.  l’intégration par @Alex_Acou de la fable de la cigale –-sans  la fourmi– revisitée sous forme d’ode)
  • Prononcer à haute voix : consonne-voyelle-consonne-voyelle… en suivant des yeux les mots retenus pour vérifier au fur et à mesure s’ils conviennent
  • Utiliser un détecteur d’erreurs (comme celui proposé par  @Aunryz)

À plusieurs reprises, j’ai constaté que  la nécessité de reformuler  en raison d’une friction non décelée entre deux consonnes ou voyelles et la volonté de rattraper une erreur  était présente chez tous les participants. Elles étaient tellement difficiles de les détecter   que @mapav8 a émis  cette hypothèse fantaisiste : « Je suis sûre que les lettres muettes et les doubles consonnes se vengent ». Afin de faciliter le travail des collaborateurs, j’ai  songé de nouveau à   introduire (comme je l’avais fait  précédemment dans Évasion)  des intertitres respectant la consigne pour fragmenter le récit collectif en cours et en accroître la lisibilité.

L’aisance s’acquiert malgré tout

Même lorsqu’un défi textuel apparaît à prime abord insurmontable, j’ai pu vérifier personnellement que l‘aisance s’acquiert  rapidement et constater que la rédaction de la conclusion s’est faite beaucoup plus  rapidement que les premières lignes d’envoi. J’ai  éprouvé un réel plaisir à constater que je parvenais vers la fin de l’expérimentation à passer facilement des idées alors qu’au début du texte, c’était inimaginable. Il y aurait donc eu une progression possible au niveau du sens en plus du travail esthétique? Je ne l’aurais jamais soupçonné sans l’avoir essayé et fait grâce à l’apport  de la communauté Twitterienne, car c’était infaisable autrement. Pourrait-on croire que l’on peut s’habituer à  écrire   avec  des contraintes  aussi  difficiles et,  qu’à un moment donné, cela devient presque fluide? Cela m’avait pris presque deux heures pour écrire   à peu près trois lignes au début du projet et  j’ai pu en  rédiger plusieurs d’affilée en même pas trente minutes. Oui, l’aisance s’acquiert rapidement : je suis en mesure d’en  témoigner car je n’imaginais  même  pas qu’il était possible d’écrire avec  une aisance relative dans un texte aussi contraint.

La barre était  haute, mais  les participants motivés. J’essaie toujours au préalable d’écrire un peu  avant de démarrer un  projet. Cela me permet de vérifier  si la contrainte peut fonctionner et si elle est porteuse. Je ne le sais jamais auparavant. Puis,  je  fais confiance aux personnes qui me suivent et m’accompagnent (même si je ne les connais pas) et qui  souhaitent  essayer de relever ce défi avec moi. Je recule mes limites et j’adore ça. J’espère qu’il en va de même pour les autres participants. Je rappelle que je ne suis pas une éditrice. En effet, j’ai respecté la plupart du temps la ponctuation proposée et altéré minimalement l’ensemble des tweets colligés. Je sais que l’harmonisation des temps de verbes n’est pas  impeccable, mais peu m’importe en définitive. Il ne s’agit pas d’un texte fini mais du fruit d’un magnifique collage de participations individuelles, facultatives et généreuses.

Des idées aux mots, aux mots en idées !

C’est sérieux ce genre de  choses. On peut révolutionner l’écriture avec ça. On  joue véritablement avec les mots, avec la langue. On se demande  continuellement :   Comment le dire? Ce n’est jamais évident. Les mots-pivots nous propulsent et le rapport est souvent inversé. Il ne s’agit plus de mettre uniquement des idées en mots, mais  de mettre des mots en idées. Heureux chiasme porteur de pratiques nouvelles. Des images surgissent durant la recherche d’une cohérence minimale. Les registres onirique et réaliste  sont souvent  entremêlés, puissante métaphore des désordres actuels à tous les plans. À mon avis, l’écriture collaborative  doit générer  un plaisir intrinsèque en comportant comme tout jeu véritable sa propre récompense. Apparemment,  les sites sociaux ont tendance à décloisonner l’espace relationnel de l’individu et  j’ai  pu  le ressentir fortement. Alors que je pensais  qu’il était  à peu près impossible d’écrire ainsi, voilà qu’en mettant en commun nos ressources et en s’entraidant, on a réussi  à cocréer le plus long okapi au monde (du moins je le crois après avoir beaucoup cherché).  C’est ce processus heuristique qui m’apparaît essentiel à l’heure du  Web 2.0, puisque TOUT  est encore possible.

* Voir à la page 16.

N.B. Comment garder des traces? J’ai déjà  fait confiance à cette plateforme de microblogage fabuleuse qu’est Twitter rendant possibles des connexions entre individus éloignés les uns des autres et leur permettant de  participer à un projet d’écriture commun  sans avoir  besoin de se connaître. Maintenant, je sais que Twitter ne sert qu’à colliger les tweets des participants, pas  à les immortaliser. Les regroupements sous les #mots-clics sont d’une  impermanence manifeste : à peine survivent-ils quelques jours lorsqu’un projet est terminé. D’où sa complémentarité indispensable avec un blogue si l’on souhaite pouvoir y recourir par la suite. Je n’ai pas encore utilisé Storify qui remet les tweets à l’endroit et  autorise une consultation plus facile puisque les interruptions  peuvent être alors supprimées. Je reconnais  toutefois que  la publication en direct a ses charmes même si la date de   mise en ligne demeure inexacte   étant donné qu’elle se fait graduellement.

 

 

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