Entente passagère

En hommage à Strofka  *

Septembre est déjà là, embrasant le réel dans la salle des fêtes. Ancrée dans Balzac, Anne s’est  lancée  dans  La femme de trente ans, se représentant nettement cette femme semblable à elle à tellement d’égards. Elle s’arrête à cette page embarrassante en encerclant de brefs passages. Tant d’années, tant de retards la gênent présentement.

Les termes de l’entente avec Gaëlle la dérangent. Dans ce face à face avec elle-même,  elle se balance dans la nacelle de ce rêve prégnant. En ne ressemblant pas à sa mère, elle pense franchement échapper à ce  passé planté en elle, ne sachant pas  se défendre sans ses charmes. Le testament a enflammé   la sphère  des secrets  en  ne respectant  pas les termes  réglés à l’avance.  Va-t-elle se lamenter, stagner dans le mal-être, zébrer l’espace et le temps en ne parvenant pas à reprendre sa place ? Elle éclate en larmes. Ne pas désespérer et chercher davantage. Elle  espère retracer ses récentes escapades. Même sans  les cerner, elle y pense et  se les rappelle sans arrêt.

Derechef, elle change de plan. Ne va-t-elle pas  s’élancer prestement vers la plage ? Va-t-elle arpenter cet espace tempéré en caressant le  sable  blanchâtre ?  Elle cherche la recette écartant les pensées errantes,  tente  de se rasséréner et de se calmer. S’empressant d’éjecter les demandes exagérées, elle relève les excès passés, repasse et répare dans sa tête des  scènes afférentes  avant de lâcher désemparée ce lest à déplacer. Certes, les éléments semblent apparentés et l’acharnement réel. Elle reste tentée par les sables d’antan lavés par la mer, sans regretter cet ancrage espéré. Elle se perd dans les méandres effacés par l’ensablement de ses pensées et l’effet délavé amalgame cet être  éthéré à des éléments ternes et banals. Lasse de ce Karma échevelé repartant en  cavale, elle repense à Hansel et Gretel et espère s’arrêter à temps. Tenter le temps. Tenter Satan. Elle déteste de tels désagréments  et s’enrage envers cette  avalanche de pensées  macabres.

Sera-t-elle capable de demander à  Gaëlle de l’emmener avec elle  après ce présage fatal ? Elle espère malgré elle ce regard tendre, ce regard de fée, ce geste d’attachement traversant le temps. En général,  les êtres de cette trempe paressent  et enferment les pensées dérangeantes dans des remèdes palpables. Elle reste zen. L’effet ne tarde pas.

Une œuvre de Cécile Prunet

Sans cesse, les amantes emmêlent, démêlent et entremêlent des mésententes extrêmes. Elles se détachent, se perdent et se désengagent, avant de se réengager et de se relancer dans le présent. Cependant, elles cessent de temps en temps de désagréger la tendresse. Les gens rebelles   détestent  changer et exècrent  ce genre de  mascarade. Ces pâles reflets des papesses  d’antan s’enlacent en refrénant les gestes espérés et les regards absents. Elles semblent avares de ce temps en allé, de ce temps excédé, et pensent à  s’évader dans la chambre en se gavant d’essences délétères. Elle s’enferment éméchées dans l’enfance enchantée, s’’égarent en secret dans l’enfance transgressée. Elles se perdent dans ce passé présent exacerbé par des fragments de rêves et les messages captés. Perec semble très présent avec ses  Espèces d’espaces à engranger. Elles créent expressément des  événements éternels.

Tentant de se passer avec grâce de sa déesse,  Anne se  demande : Est-ce réellement elle, là, dans  ces  sphères exaltées  de l’âme ? Est-ce valable de  prélever secrètement de la transcendance dans des gestes éclatants ? En essayant d’enserrer l’espace et  le temps, les arcs se resserrent et les avantages engrangés se perdent lentement.  L’absence enferme l’espérance évadée. Se sachant éternelles en ce passage terrestre décapant, Anne et Gaëlle espèrent s’en rappeler. Elles changent généralement d’adresses  et s’empêchent de  s’en aller dévastées.   Elles effacent sans arrêt les traces espacées et en redemandent à ce karma pervers. Embarrassées de tendresse vengeresse, elles se caressent lentement et se jettent damnées dans l’espace-temps des fractales,  semblables en cela  à ces âmes en détresse et gavées de néant testant  la dépendance à ce réel tenace.

En ressassant des ébats enflammés, Anne, en dame galante, préfère nettement  encenser le temps. Enlacée avec Gaëlle, elle s’égare en elle dans des gestes réels. Pendant cette trève banale, elles restent là serpentant en tandem, s’égarant dans l’espace, s’enfermant sans fenêtres, s’évadant dans l’extase. Elles se prennent,  s’entrelacent et se reperdent sans s’arrêter. Présence de serments et  de secrets  carapacés. Bravades, rasades et  fantasmes en fanfare.

En échevelant cette légende et en l’ensemençant, Anne   demande à  Gaëlle  de reprendre cet ascendant dérangeant.   Elle se défend désespérément dans sa tête, car  sa présence ambrée affecte  le mental  désaltéré par des rêves effervescents. Espérer retarder l’échéance en s’empêchant d’être. Se mettre la tête dans le sable lézarde le langage et le  verbe est rare en attendant. Est-ce dans le passé ? N’est-ce pas dans le présent ?  Dans  ce rêve dérangeant, des gens rassemblés là semblent attendre la sentence rattachée à l’événement latent. Les regards hagards et atterrés  des gens  la  transpercent et la détachent d’elle-même. Elle menace les manants de s’en rappeler.

Perplexe,  elle regrette l’entente paraphée et elle se réfère,  âprement rechargée, à la présence absente des âmes dépravées. Avant même de s’alléger  mentalement, elle  s’élance en pensée à travers les fenêtres étanches en perdant les pédales. Sans gêne, elle se met en danger, sanglée dans ce ballet effarant. Ses bras, sa tête, ses jambes et ses hanches enfermés d’emblée dans l’espace mental agencé en strates, l’alertent. En parallèle, c’est sa traversée, sa démarche en cavale dans ce désert hébergeant  ce  passage paramétré échappé des fantasmes.

L’été  passé dans le Sahara l’a altérée. L’effet  terre maternelle l’a arrachée à ce spectacle ressemblant à Babel, car elle escalade le langage avec entêtement. Amplement transparente à elle-même, elle s’étrangle dans le parc des apparences, et se perd dans ses dédales. Elle a changé. Changer et rechanger en restant le même être, espérer relever cette bravade. Elle écarte les  menaces permanentes et revend par exprès des éclats de réel. Elle  persévère à  rechercher des aspects  d’elle  gardés secrets. Le passé n’est pas  réparable. Le présent  respecte ses engagements. L’effet est raté et elle a  gagné par hasard en  se cassant  le nez. En gagnante, Anne  se berce  dans cette cachette extrême ensemençant ses rêves. Cachettes et secrets, se cacher en secret. Y régénérer l’espèce pas mal dégénérée. Regretter les ténèbres et l’éternel été. Passer de ce néant à l’élan éclatant. Passer de ce bref élan à l’effarement. Blême, blanche et rebelle, elle ressent les retards  des fées  et danse en les attendant. L’entregent  fardé, le tact étrange, la maladresse valsante,  la présence  chancelante,  la méchanceté affable,   ces extrêmes la rendent attachante et avenante.  Zélée, elle se malmène  davantage en espérant  abattre ses cartes.

Arracher des pans de passé, repêcher la chance,  rattraper ses écarts, les remettre  en berne et les lancer dans le vent, c’est l’exégèse de l’éternel dans ces amas percés de rêves. Elle regrette ses  égarements dans les passages et aléas, ces hasards-événements avant de déceler l’amer dans ses lèvres scellées. En effet, Anne tend à rassembler les termes fastes et néfastes, car elle se déteste davantage en état de partance. Elle entasse vers la berge les effets rescapés de ce passé banal et, en  exagérant, elle  entreprend de se détacher de ce présent verbal. S’attacher à ce départ en marasme la rendra-t-elle malade ? Elle renverse le chapelet d’espaces en émergence dans le lac encerclé de calme plat.

S’élevant en planant, elle ramène dans sa tête l’espace  céleste et s’empresse de s’y perdre en le payant chèrement. Les apparences  restent aberrantes. Elle ramène à la hâte des plans d’escapade en scandant des vers. Les balades enchantent  les âmes légères. Partager des ratages permet d’effacer de stables entêtements et l’amène  à décanter les regrets, à extrader les maladresses, à célébrer l’éternel été.

Prendre le rêve dans ses bras et l’ensemencer de parcelles d’échelles,  émerger dans l’entre-temps, descendre et dévaler les pentes escarpées, c’est se  détacher de l’écart recherché et le cacher dans l’ensemble étalé. C’est prétexter l’effet réverbère  et le chercher ardemment dans les ténèbres renversées. Halte tranchante avant de se déclarer blessée par cet être étrange et désarmé, par cette amante  blasée. L’absence est la présence extrême.  En ces temps de véhémence, est-ce blâmable de s’acharner à redresser les escarpements en place ? Le paysage a changé et elle s’enchante de l’absence de dégâts apparents dans ce marasme passager.

Les hêtres et les chênes se prélassent dans l’ensablement sans âge et ne semblent pas dérangés par la présence de réels dangers. Les anges des ténèbres encerclent  les rares passants. Le cadavre de Gaëlle  hante la grève.  Anne se remet en tremblant de ce départ extrême. Elle est  blâmée et  admet sans appel cet acte regrettable. Même avec retard, les charges menées rendent patentes les brèches mentales et les brefs accès de perte de repères. Récemment, cet état  avéré de  démence (très rare  à cet âge) semble s’être accéléré. Les regrets ne rachètent pas les traces  de détresse, ce drame enfermant éternellement  ses gestes  désespérés  et la vengeance exercée.

Cette Ève s’en est allée vers le lac des fées. Elle a lancé ses vêtements de dentelles dans le bac près des érables et des frênes. Elle a préféré reprendre sa chaste veste grège, sa cape de taffetas et remettre ses sandales de rêve. Va-t-elle sagement se délester de ses effets ? Ne va-t-elle pas encenser les elfes et les farfadets ? Pendant  ses vacances éternelles, elle percera de graves secrets et  tressera le présent de dérapages sagement acceptés.

Dans les champs et dans la vallée, les trèfles s’apparentent à des fragments lettrés. Septembre est déjà là, embrasant le réel dans la salle des rêves, écartant les échecs et les pertes à travers des larmes de sang.

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* N.B. Cette  fiction bivocalique a été  élaborée à partir de fragments prélevés uniquement dans mes propres contributions, soigneusement recensées,  à Lipoyes au cours des quatre derniers mois. Il s’agissait à prime abord de commentaires indépendants, provenant de l’interactivité induite, et  rattachés à une multitude d’illustrations visuelles et textuelles proposées par Strofka sur Facebook dans  ses groupes d’écriture (Voir Un bien étrange lipodrome). Une nouvelle littéraire oulipienne en a  émergé, car des  idées ont surgi qui n’étaient nullement  prévues au départ. Il s’agit d’une autre façon d’écrire, puisque les idées proviennent des matériaux langagiers plutôt que l’inverse. Cette expérience constitue la preuve qu’il est possible d’écrire individuellement de cette  façon,  étant donné que les expériences d’écriture bivocalique en Twittérature collaborative se sont déjà avérées concluantes (voir Passages, Ivresse, Osmose, Murmures). J’ai pu, en me lançant  ce défi singulier, vérifier à quel point les  contraintes linguistiques oulipiennes  libèrent la pensée, et constater que les fragments échevelés de Lipoyes, une fois rassemblés et méticuleusement sélectionnés, peuvent être retravaillés et  générer des textes porteurs en  agissant comme des ferments, ainsi que l’intuitionnait Strofka que je remercie vivement. Il s’agit ici de ma première  fiction individuelle oulipienne, mais ce ne sera certainement pas ma dernière, tant j’ai trouvé l’expérience agréable et stimulante, même si elle était fort exigeante.
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3 réponses à Entente passagère

  1. Lirina Bloom dit :

    Etrangeté dans ce drame, agates enchâssées. Brava.

  2. Lise Ouellet dit :

    Le réel et le rêve se mélangent, s’entrelacent… créant une atmosphère chargée malgré l’absence des iou. Je retiens : « L’absence est la présence extrême. »

  3. Plusieurs passages m’ont touchée et font écho en moi comme un refrain que le retour incessant de ces deux et uniques voyelles orchestre : «L’absence est la présence extrême.» «Lasse de ce Karma échevelé repartant en cavale, elle repense à Hansel et Gretel et espère s’arrêter à temps. Tenter le temps. Tenter Satan.» ou encore «Arracher des pans de passé, repêcher la chance, rattraper ses écarts, les remettre en berne et les lancer dans le vent, c’est l’exégèse de l’éternel dans ces amas percés de rêves.»
    Enfin, àla fin majestueuse avec cette magnifique métaphore où les trèfles, symbole de la chance dans d’autres circonstances, sont comparés aux lettres éparpillées, qui rassemblées composent le tissu du texte, et annoncent son succès futur. Enfin, Septembre, d’après moi le meilleur mois pour rêver. Nathalie

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