Twitteroman collectif et interactif sans E (4)

 

CHAPITRE 4- Trio (Semaine du 27 mars  au 3 avril 2011)

Yorik a un rancard au Marly suivant l’invitation du grand gaillard David. Lora y fait un saut pour choisir, pour finir. Marly : tribunal fortuit d’où jaillira la condamnation du poison d’amour. La condamnation du poison d’amour? Ça non! pas ça! Ni condamnation, ni poison mais plutôt un rachat absolu. Un trio lascif arrogant! À l’instar du combat, l’affiliation par pâmoison. Un chakra,  fin du malfrat, ravivons l’amant d’antan! Ravivons l’instant, profitons à trois d’un chakra commun soudant  trois corps inassouvis dans  l’annihilation.

D’un pas hardi, un rictus trahissant la cooptation qui a tant langui, Yorik franchit un portail du Marly. Ruminant son chagrin colossal, David implorait dans un coin Lora pour son pardon. D’un pas, il s’immisça dans un duo ambigu pour voir  jaillir un trio triomphant. Fusion, union, bisous pour  Lora-Yorik-David : souffrir OUT, pardon IN. Amour charmant, amour chantant, oubliant maux, coups durs, trahisons, manipulations. Un jour sans illumination? Jour au goût blasant, assommant, faisant fuir tout plaisir ou jour indiquant plutôt  un film vital induit par la consolation, la satisfaction, la jubilation d’occasions à ravoir?

Dans Paris aux plaisirs infinis, assis au fond du bistro sur un banc trop court, un trio riant invoquait actions/inactions d’antan pour caution d’un futur brillant. Polyamour au goût du jour unissant nos trois amis à la vibration d’instants infinis. Mais, on sait l’amour… survit sans loi, dans un chaos sans compromis. «Bon! Qui a faim?» susurra Lora. Dilapidant son magot au bord du comptoir, Yorik hurla: «Garçon!, pouvons-nous nous nourrir?» Ça va, soyons courtois! Yorik, toujours aussi impulsif, faisait rougir Lora qui aimait alors bondir à l’horizontal. Sur un banc du Marly, tous  lascifs, bouillonnants d’amour, imitant « J and J », film magistral conçu par François Truffaut. La chanson du « Tourbillon » jouait, chamboulant tout sur fond d’alcool. Buvant la voix abolissant un bilan imparfait, un trio bavard vivait sa mutation tout au long d’un air captivant. « Nous voilà tous trois unis par la passion ». Roman ou fiction? Moksha ou samadhi? Salvation, Nirvana… Pas un iota: âtman sans tracas.

Quand soudain tous trois sont pris d’un commun frisson par un constat foudroyant : ils sont ni un ni trois, mais plutôt trois moins un. Fusion Lora-Yorik ? Yorik-David? David-Lora? Cyrus Bassiak l’avait dit au son du banjo du tourbillon : apparus/disparus, connus/inconnus. L’alcool abolit jours, mois, ans. Fiction: fusion d’ individus, unis dans un roman collaboratif! Unis dans la fiction d’un roman  non constructif, occupation qui concourt à unir l’inaction dans la soif d’un futur troublant. Amplifiant un futur-bonbon, Lora osa… (On l’avait appris d’un twittos pas trop bavard et plutôt sourd qui savait tout sauf ça). Oui, Lora osa offrir aux amants-amis-twittos  la production-narration d’un film illustrant son combat pour l’amour. La passion, combat final? Dans un film, fût-il pur souhait, faudrait-il aussi bannir corps durs arrondis produits par tout animal volant (dixit mon dico)? La proposition surprit David-Yorick : stars sans avoir suivi un cours à l’Actor’s Studio! Marlon Brando – Dustin Hoffman 2.0! Brad Pitt avait plus un look qui plaisait à Lora-Fight Club. Combat total? Mort au duo David-Yorik lors d’un jour qui n’avait pas du tout fini son horizon.  Soudain, la nuit tomba.

Pour Jack la prison faisait fuir la raison qui disparaissait alors pour toujours. Fantasmant  dans la dissociation, chacun  gâchait,  par son ambition, la vision d’un film commun. La Lora-Marla d’un Fight Club inspirant  misait sur l’attrait global produit sur son duo captif. Plus tard la planification, plus tard la production, plus tard ou jamais? Trop d’informations, trop d’actions  non-stop. Non-stop la fusion! Dans l’imaginal du duo-trio la fusion! L’aura ou l’aura pas Lora? Pourquoi Jack? la prison? sollicita Lora. Jack? Vu dans un journal ou furtif avatar… Pourquoi Jack ? Lora doutait… Jack, car à tout casting il faut un nom! Jack, un forban, un fripon, un bouffon, un soûlon : «Voilà un habit fait pour lui ! », dit Lora.

Lora prit son androïd, tapa 323-315-9460. À Hollywood, ça sonnait : dring, dring, dring. La Barbara du standard lui passa un gars du studio pour plus d’infos. Lora sortit son anglais :«Your script is so…!», booka un RV pour Yorik, raccrocha l’air satisfait puis s’alluma un cigarillo. Lora voulait à tout prix voir Yorik, mais tout autant David, partir à Hollywood pour un suivi initial. Tout d’un trait, l’avion, l’installation aux USA, la passation du pouvoir aux mains d’un « Jack of all jobs ». Lora s’imaginait California girl, à Dana Point, admirant un surf qui domptait un flot azur par un bottom turn ou un cutback. Contact :  un Jack Sparrow rugissant, inspirant, sautillant, conviant un trio fou dans l’inconnu à tout prix  (narration, saga, attraction). Jack Sparrow Jack Moino… of all jobs. Oui, oui ! Pourquoi pas après tout? L’audition tomorrow! David, puis Yorick finiront au casting sous un projo, risquant l’humiliation, jouant un va-tout pour Lora, Oscar d’un amour fou. David la diva ou Yorik-Rocky Balboa? Qui aura Lora, alias jadis Gina Lollobrigida qu’aima Quasimodo, qu’aima aussi Frollo?

Audition sans aucun  flop : plutôt l’agitation autour du trio fanfaron,  un vrai typhon d’acclamations ou d’ovations sans fin. «Bravo! Hourra! » Fort bon pour un moi fanfaron ou imbu, mais surtout pour un moi affaibli. L’audition catalysa un tourbillon troublant, la passion inondant un trio ragaillardi par l’ovation, un vrai tabac! Au fond du studio, un cow-boy, dont l’iris faisait un parfait lasso, scrutait la squaw. Mais Lora l’ignorait, n’y voyant qu’un tribut normal à la star aux appas attirants.

Dans un couloir passait un individu massif, barbu, binoclard. On aurait dit Francis Ford Coppola! Poisson d’avril, supposa Lora. Tout lui souriait. Quoi choisir? Pourquoi pas un tour à San Francisco d’abord? La procrastination dans ça aussi,  pour voir clair dans la  proposition du film d’un adjoint nabab. David quant à lui, las, n’avait plus aucun punch. Il opta donc lui aussi pour San Francisco. Yorik suivit. L’individu massif à la Copolla choisit aussi San Francisco. Lora, opposant un non, donc à nouvo solo, continua, insista,  mais succomba. Son film dans un micro-climat au brouillard abondant, au littoral invitant? Pas mal  attirant! Mais faudrait-il nourrir d’amour 1 Parrain + 2 cabotins? Poids trop lourds! baluchon d’obligations! Abattons tout tyran! Un quatuor à bannir ou millions à l’horizon? Va pour un parrain, à condition d’avoir  David-Yorik ravis du contrat arrivant à point.

Au final, un parrain… pourquoi pas ? Un quatuor d’or pour un prochain film au summum! Oui, oui, jubila Lora, mais d’où arrivait donc l’olibrius? Yorik ( fut-il jaloux ?), cuisina l’animal colossal à la Coppola puis annonça au trio son original parcours. Paris, LA, Saint-Louis-du-Ha-Ha, un parrain qui connaissait aussi Lucas Film ! Occasion, hasard ou fatum, suivons l’individu. Foulant un sol pourri par l’appât du gain, son capital moral disparu, Nicolas court sans faim à sa fin abattu par son Pygmalion. Nicolas! Un avatar du nabab? Un moutard conçu par Lora à l’insu du duo parfois niais David-Yorik? Quid du papa-pygmalion? Nicolas? Matador du film, humain fictif mais pas du tout impuissant, amorça l’action qui ridiculisa Yorik-David. Lora jouit.

Nicolas jalousait l’amour du trio. Flashback sur un flirt  d’un soir dans un sauna… Liaison passion  ou duo canular d’amants frissonnants? …

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Voici, par ordre d’implication, la liste des personnes qui ont participé à la cocréation de ce quatrième volet du Twitteroman sans E :

@LiseLePailleur @jmlebaut @AndreRoux @AlexRiopel @Aurise @georgesgermain @dawoud68 @GilbertOlivier @sstasse @marteaudeux
@gtouze @JeanDore @nathcouz @julienllanas
Pour participer au prochain volet du Twitteroman sans E, utiliser le croisillon #romansansE
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Quelques réflexions adjacentes

Dans les deuxième et troisième chapitres du #romansansE publiés sur ce blogue, j’ai senti que s’installait progressivement un bel espace de plaisir et un peu moins  de labeur.  En effet, j’y capte davantage d’aisance et de prise de risque. Certains twittérateurs semblent être parvenus à s’amuser beaucoup, principalement ceux qui avaient déjà participé à l’écriture du premier chapitre et qui ont décidé de s’impliquer de nouveau. Fluidité accrue, perception tangible d’un bonheur d’écriture qui semble s’accroître au fil des lignes additionnées et  s’amplifier avec le constat de l’œuvre en train d’émerger. On sent tout le travail derrière un seul tweet et l’accès à des moments d’éternité quand l’illumination surgit. Le côté ludique prend le dessus, on sent moins l’effort requis par  les dépassements individuels, car il est indéniable que l’on doive écrire  autrement, explorer de nouvelles stratégies à découvrir progressivement.

Juste aller sur Twitter pour une autre raison qu’aller s’informer ou informer les autres, je trouve déjà que c’est  une expérience  en soi et que ça en vaut la peine. Il s’agit d’une autre façon de partager, cette fois non plus des informations, mais des pans de notre créativité. C’est rendu qu’au lever du jour, je me précipite pour accéder aux trouvailles de la nuit, puisque des européens  ont parfois laissé durant mes quelques heures d’absence quelques  gazouillis. Je   suis véritablement excitée le matin et durant la journée  par ces micro pauses dans le #romansansE, car elles me plongent instantanément dans une euphorie prévisible et  je souhaite ardemment que ce soit la même chose pour vous.

Conception du roman et  stratégies langagières

J’assiste à de fort beaux tiraillements dans l’évolution du récit. Il y  a des participants qui essaient de ramener l’action ou  de faire bouger les personnages. Elle n’est pas toujours évidente la continuité narrative. On peut décider de faire avancer l’action ou de l’immobiliser pour donner à voir. Parfois, il devient nécessaire de ramener le récit  pour éviter qu’il se dilue, de récupérer les digressions dans une optique de progression. Il n’est pas toujours facile de faire du pouce  sur ce qui vient d’être dit surtout  lorsque l’on sent le récit bifurquer ou nous échapper. Car n’importe qui peut mettre n’importe quoi, n’importe quand…mais pas n’importe où.

D’ailleurs, il devient évident que les digressions nombreuses dérangent les personnes préférant un récit bref ou linéaire allant droit au but. Des liens existent certainement avec les diverses  conceptions  du  roman qui se confrontent ici. Récit conventionnel ou non? Histoire linéaire et chronologique ou monologue intérieur multidirectionnel? Des actions, des descriptions ou des réflexions? Romans introspectifs, d’apprentissage, de science-fiction, d’aventure ou d’amour? Registre du fantastique, de l’ironie ou du suspense? En effet, le roman peut se décliner  à l’infini. Dans un roman collectif rédigé de manière asynchrone, on assiste inévitablement au collage des représentations et non seulement à celui du collage des énoncés. J’aime beaucoup l’analogie qu’a perçue  @AndreRoux lorsqu’il fait ressortir dans son billet publié sur le blogue du Domaine des langues, la parenté existant à l’oral avec la LNI. L’apport des autres stimule, infléchit, rassure, confronte et suscite même parfois des sauts d’allure quantique tant ils sont imprévisibles. Ce n’est pas tout de participer : encore faut-il que son tweet ou son gazouillis s’inscrive en continuité afin de tenir compte de ce qui précède.

J’observe également dans le #roman sans E de fabuleuses trouvailles  langagières. Certaines sont de pures merveilles dont Perec serait  sûrement très fier.  On retrouve notamment dans ce texte lipogrammatique, en plus des jeux d’ allitération ou d’assonance (ex. sans savoir qu’un sort s’ourdissait / car il y vivait avant qu’un Cro-Magnon naquît/ son sang stoppa son sprint), la fabrication de néologismes (ex. furibondant), l’utilisation d’acronymes ou d’abréviations, la confection de métaphores  (ex. le caillou tondu), le recours à des mots rares, d’argot, ou en langue  étrangère  (ex. In, Out, lungta, dharma), l’insertion de dictons latins (ex. « si abyssus abyssum invocat » ) et la production de haïkus parfaits comportant 5-7-5 syllabes (ex. Cumulus si blancs/Font un plafond d’angora: / À quoi bon nos murs?)

Je constate aussi que reculent les possibilités langagières dont la richesse possible ne me semblait pas évidente au départ. Déjà ce qui me frappe, c’est la différence des modalités d’énonciation : le constat d’un style personnel individuel émergerait sans doute pour chacun des participants  si on décidait de colliger l’ensemble des tweets d’une même personne. Paradoxalement, ces tweets non retouchés se fusionnent tout de même de façon fort agréable, à mon avis du moins.

La culture sans dessus-dessous

Même des noms propres sans E, qu’ils proviennent de pays, de villes, d’auteurs ou d’artistes m’interpellent désormais autrement. Cela me permet d’opérer un tri symbolique parmi mes références, cette fois non plus orienté uniquement sur mes préférences habituelles ou sur mes découvertes, mais qui ressortent d’elles-mêmes ou seront éventuellement retenues en raison de leur absence de E. Cela me permet d’entrouvrir de nouveaux horizons, mais surtout d’apprécier les univers qui me sont proposés lorsque ces références sont amenées, partagées et mises en commun. Les hypertextes auxquels réfèrent les hyperliens en témoignent abondamment. On voyage beaucoup dans ce roman.

Après avoir  eu accès à divers éléments du bouddhisme quand le personnage de Yorik s’est rendu au Bhoutan, imaginé par la suite Paris et ses musées, je me suis  demandée  où nous aurait conduit sa quête s’il s’était rendu dans un autre pays au nom sans E (ex. Japon, Liban, Congo….). Chansons et oeuvres d’art sont abondamment mentionnées, de même que des références à des oeuvres littéraires qui, en filigrane, tissent un entrelacs de référents culturels. Le récit foisonne de richesses artistiques évoquées susceptibles d’interpeller les lecteurs-auteurs de diverses manières, soit en les amenant à les propulser, à les ignorer ou à les neutraliser.

Je perçois avec émotion ces multiples clins d’œil à des référents culturels historiques, religieux, littéraires,  artistiques, géographiques même s’il se glisse parfois quelques inexactitudes ou fantaisies. Bien entendu, l’humour présent affecte quelquefois la plausibilité relative de certains éléments qui font sourire et sont mis sur le compte d’hallucinations provisoires, stratagème aussi utile que le recours au rêve pour justifier ce  qui contrevient à la réalité.

Quelques stratégies compensatoires…

Pour ma part, je n’ai jamais utilisé autant, et de manière aussi systématique,   les dictionnaires courants et les dictionnaires  de synonymes. Je privilégie désormais ceux qui sont accessibles directement  sur Internet,  car leur consultation est  instantanée et donc nettement  plus aisée et avantageuse. Je pense à une idée et  des mots me viennent aussitôt à l’esprit. Étant donné la présence inévitable de E, je cherche  ensuite des synonymes souhaitables qui m’amènent  fort souvent à la nécessité de reformuler quand ils ne me donnent pas une nouvelle idée.

Les livres me servent par moments autrement. Je me surprends à retenir des mots auxquels je n’aurais pas spontanément pensé. Je me suis même surprise à lire à la télé les bandes déroulantes d’infos et  à noter des mots sans E pas nécessairement utiles dans l’immédiat mais qui détournent mon attention du signifié vers le signifiant au sens où l’entendait Saussure.

Écrire pour apprendre et s’étonner:  une expérience esthétique

Écrire  pour se surprendre soi-même d’abord et étonner les autres ensuite  ou  même pour les amener à explorer de nouveaux univers thématiques, c’est tout un défi, surtout dans un contexte lipogrammatique comme celui-ci.

Je m’interroge parallèlement sur la jouissance textuelle (clin d’œil à Barthes), car triturer la langue, reformuler des énoncés, s’attarder à la constitution de chacun des mots,  les regarder autrement pour y déceler ou non l’absence de E, sculpter parfois l’énonciation procurent certes un plaisir indéniable. Ce plaisir apparaît d’ailleurs  multiplié par l’éblouissement  qui survient face aux trouvailles labyrinthiques observées à la lecture des tweets produits par les autres participants.

 

Avez-vous peur des mots? La révolte des E…

Certaines personnes auxquelles j’ai demandé leur avis avant de substituer un mot comportant un  E qu’elles avaient laissé passer ont moins bien réagi que d’autres, se dévaluant  même parfois, car elles se croyaient fautives d’avoir laissé passer un petit E pas bien méchant pourtant. Je regrette infiniment de les avoir peinées. En effet,  quelques personnes  se sont senties dévaluées parce que je pointais (ou quelqu’un d’autre le faisait) le non respect de la contrainte. Cécité partielle ou aveuglement provisoire provoqué par l’habitude de l’omniprésence des E qui semblent se révolter. Normal qu’il y ait des E qui se faufilent : ils font de la résistance! Pour traquer les E qui se dissimulent dans les interstices des mots, dorénavant on utilise un outil de recherche.

J’ai dû rappeler à certaines personnes qu’il ne s’agit que d’un jeu et qu’il importe d’avoir du plaisir à  y jouer. Cela doit s’ajouter à  l’ empressement qui consiste  à vérifier régulièrement où cette aventure nous conduit. Facile de voir le grain de sable dans le tweet d’autrui : plus difficile de le voir dans le sien propre. Un petit de, et, ce,  les ou des semblent si évidents qu’il est difficile d’y voir qu’ils sont ici des intrus.

Et au plan pédagogique ?

D’autres lipogrammes sont bien entendu possibles : on peut convenir  avec un groupe d’élèves ou avec soi-même d’omettre d’autres voyelles  ou certaines consonnes, voire même certains mots. Je pense que toutes les autres contraintes sont d’emblée plus faciles à suivre que celle qui consiste à supprimer des E en raison de leur prédominance en français. Cependant, le résultat est le même : on prête une attention  nouvelle à l’utilisation de la langue en lipogrammant. On s’interroge aussi davantage sur le choix des mots. On met également en pratique ce que l’on connaît  sur la synonymie, la dérivation lexicale, la richesse de son vocabulaire et sa connaissance des langues étrangères.

Mon rôle dans tout cela ?

Dans mon rôle d’instigatrice et d’éditrice, j’inclus désormais  celui d’animatrice. En effet, il me semble  indispensable à certains moments de  ramener les propos, d’entrouvrir une fenêtre quand j’entrevois une impasse, méprise, confusion possible ou encore un niveau d’énonciation trop recherché apparemment dissuasif pour certains collaborateurs.  Je reconnais aussi avoir  sollicité directement  quelques personnes ayant manifesté leur intérêt bien qu’elles n’aient pas nécessairement encore accepté l’invitation de relever ce défi stimulant, mais ardu. Je fais certes de l’édition, mais je ne change aucun mot sans l’approbation de leurs auteurs ou  sans proposer des substitutions dans les rares cas de présence de E dans les mots utilisés, s’il m’est  impossible de tout simplement les supprimer sans dommage. J’ai vivement apprécié la collaboration survenue dans le groupe de cocréateurs, puisque de l’aide spontanée a été offerte, du  moins délicatement proposée pour suggérer un remplacement de mot problématique.

En cas de doute, choisir d’oser sans doser!

Il faut s’affranchir du  jugement d’autrui (on n’en meurt pas) se faire assez confiance, oser prendre un risque qui est minime en fait : à peine une légère blessure narcissique si l’on ne se trouve pas à la hauteur de ses propres   attentes. Leçon d’humilité comme le disait @nathcouz. Bref, il ne faut pas avoir peur d’avoir l’air fou : le texte n’est pas nous.

Je me demande parfois ce qui contribue à faire fuir certaines personnes alors que d’autres osent s’aventurer en explorant des avenues nouvelles : question de personnalité et d’intérêt sans doute. La prise de risque est minime : aucun engagement, seulement une impulsion à suivre, car la fabrication d’un seul énoncé suffit pour ressentir de l’intérieur l’ampleur du défi à relever avec le concours de tous.

N’oublions pas non plus qu’il s’agit d’abord et avant tout d’un jeu littéraire, d’une histoire en chaine avec une contrainte majeure fort difficile à tenir. Même si je regrette  que certaines personnes aient  quitté le navire ayant trouvé sans doute l’expérience suffisante,  je les invite néanmoins à collaborer de nouveau et je salue les nouvelles personnes qui s’ajoutent à chacun des chapitres. Le double défi consiste à ne pas avoir peur de prendre trop de place, mais d’oser tout de même prendre sa place. Le plaisir sera certes au rendez-vous. Qu’attendez-vous pour venir jouer avec nous?

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Twitteroman collectif et interactif sans E (3)


CHAPITRE 3-
Lora (Semaine du 20 au 27 mars 2011)

Sirotant son porto, Lora savoura un chocolat noir. Un chocolat à 85%, un plaisir fort important surtout aujourd’hui. Un doux parfum d’anis chatouillait l’air ambiant. Lora cogitait. Symbolisant l’incarnation du mal, Lora aimait voir souffrir autrui. La vision d’un instant à la Villa du Cap Martin, là où David s’asphyxiait aux galimatias, la hantait. David, Yorik, rivalisant pour l’avoir, paradant : coqs imbus, machos, virils, duo ni cordial ni doux, mûrs pour un combat final. Corrida, art subtil pour affaiblir son rival, lidia où un picador concourt aux bons coups du matador. Yorik piquant David, David nuisant à Yorik. Qui sortira champion du combat à mort sous la ola? David Macho – Macho Yorik : un match où tout garçon finirait niais, vil, KO. « Quand tout couillon blondira, David-Yorik rugira du Cloclo Magnolias, à jamais », dit Lora au barman, fan d’Audiard.

Flirtant un instant pour un plaisir furtif,  voulant toujours  ravir ou punir tout  humain imbu par son chic ou  par sa distinction, Lora parvint à un oubli approximatif, occultant son soi arrogant. Son iPad à la main, composant un SMS plutôt salaud, l’afficionada du 2.0 s’abandonna à sa soif du talion. Lora douta un court instant. L’occasion inspirait l’humour noir: ouvrir la passion, un marathon, un combat sans survivant. La vamp du piano-bar raconta tout  au garçon : « Yorik & David, candidats à mon amour,  sont  fous, jaloux, rivaux  pour moi! » Pâlissant, il riposta sans agir : Jusqu’où irait sa manipulation ?

Usurpation : Yorik barman tramait incognito un scoop, dont Lora pourrait pâtir… Fallait-il sortir soudain nu du carnaval?  Il n’avait plus son profil d’antan, dissimulant son air amaigri, briguant l’anonymat total,   adoptant un ton aigri par l’Himalaya insatisfaisant. Lora sombrait dans un plaisir subtil imaginant la fin du combat quand soudain… Son vol conclu, Yorik huma l’air avili à Paris. Pouah, choc olfactif pour un humain aussi maladif. Son corps affaibli, il tomba sur un tarmac fort dur. Quittant tarmacadam ou macadam,  il  fuma un joint, avala un coup illico puis  s’impliqua  au bar d’un ami mal pris. Travail fort payant, surtout là, car  il fixa d’abord Lora, puis il osa s’ouvrir à son aura, à son parfum, à sa voix, à sa vibration. Lora insufflait l’opium à son corps, il sombrait, savait là où tout ça allait aboutir … karma ou fixation ?

Il s’avançait, murmurant moult mots troublants, charmants ou touchants. Toujours, il avait bon goût! Fallait-il pour autant abâtardir l’art du conquistador? Soumis ou soudard? « Chivas? whisky? porto? kir? cocktail? soda? bourbon? martini? grog? gin fizz? vodka? pastis? un p’tit blanc? » ânonna-t-il. Lora lui lança : «Tizanio! Prompto!» imitant la star d’un soap rital.

Il fut contraint d’approfondir la notion qui l’avait tant fait souffrir: l’alcool, puits sans fond, divin goulot, où il avait jadis, sans ami, sans Lora, connu l’imparfait abandon. Choir, toujours? Lora doutait : pourquoi dans un bar obscur diffusant la RAI uno un garçon inconnu lui paraissait-il si amical? Ainsi Lora lorgnait un barman fort plaisant, constatant dans sa chair un long frisson labourant sa cicatrisation.  S’ouvrir à l’instant pour assouvir sa soif d’oubli : un contrat stimulant, pourquoi pas ? Minuit sonna. Tout à coup, son travail fini, un Yorik-barman pas mal confus partit abandonnant Lora dans un tourbillon d’inconfort  au goût d’alcool. Il y a du bruit la nuit, surtout à Paris, mais il faut dormir à tout prix.

Où ça? Dans un abribus?! Hourra! la station Stalingrad fonctionnait toujours! Zou! du balai! Tous à Saint-Paul au point du jour! Saint-Paul, faubourg du Marais, lui ado usant son froc au bahut … courir … Imbu d’alcool, soudain goût pour l’art. Ainsi, il vint jouir du Quai d’Orsay : Gauguin, Van Gogh, Klimt, Munch, Vlaminck… Il la vit tout à coup : Olympia, putain offrant sa chair sans tissu, provocant l’opinion sans vacillation. Olympia (1863), portrait-composition fragilisant sa raison, amplifiant  son imagination. Carillon sonnant minuit, air froid vif sur son front, clapotis noir au bas du pont, un saut dans l’horizon? Mourir au Marais? Solution d’Idiot! Plutôt choisir Raskolnikov. Un assassin maudit filant dans la nuit tout passant inconnu… Un Raskolnikov culpabilisant, fou hors du commun, arrogant, s’attaquant à autrui pour un butin approximatif. Actions ou soupçons puisant dans C&C, roman fort connu. Plus tard la condamnation, la salvation, la soumission pour forfaits. Mourir ou non? Assassin ou survivant ? Mort ou vivant ? Disparu ou martyr ?  Flânant plutôt craintif dans Paris, il allait dormir dans un lit connu au Saint-Paul.

Au matin, Yorik prit d’abord sa collation puis voulut voir Lora sans trahison, commotion ou frisson. Suivant son intuition, il alla au Grand Palais voir l’art d’Odilon : fusains ou litho and co adouciront mon chagrin. Sonnant l’hallali, l’art n’y pouvait nada. Contraint aux faux pas, il imaginait toujours sa Gala ranimant son bas instinct. Il magnifiait Gala Dali, car sans sa Lora tout avait l’air fini. Pourtant, Lora jouait, multipliant tant d’occasions d’humiliation sans fin. Bio Gala : Moscou 1894 – bô-papa avocat – sanatorium – Amants-maris : Paul / Max / Salvador Dali (inspiration pour) – 1982 Pubol.  Oublis voulus  d’un humain confus, abattu,  assombri par la trahison d’un ami. David ou Yorik? Lora pour qui? Lora pour tous? Star dans un film conçu par David-Yorick, compagnons moisis? Ô aspiration à soi! Ô goût du clair-obscur! Parfois, choisir un mal diffus, savoir souffrir jusqu’au bout vaut un nirvana ou un paradis. À quoi bon mouvoir sa chair sans raison? La confrontation surgirait à midi : il saurait.

Au bout d’un froid matin, au littoral du jour, il saurait si Lora l’aimait toujours, murmurant la consolation. Midi sonnait. Glas annonçant un rambot qu’il craignait. Il farfinait sur un quai, au bras d’un trac agaçant. Son RV approchait, il mit cap sur un futur fatal, car un instant risquait  d’abolir pour toujours un trio jadis congru.

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Voici, par ordre d’implication, la liste des personnes qui ont participé à la cocréation de ce troisième volet du Twitteroman sans E :

@georgesgermain @Aurise @LiseLePailleur @nathcouz @jmlebaut
@sstasse @AndreeCaroline @JF_Giguere @gleblanc007 @JeanDore @AndreRoux
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Twitteroman collectif et interactif sans E (2)


CHAPITRE 2- Yorik (Semaine du 13 au 20 mars 2011)

Yorik, vagabond sans foi ni loi, marchait. Insouciant, il marchait, un baluchon cognant son flanc, rythmant son pas, sans savoir qu’un sort s’ourdissait. Un complot, car Lora aux doigts crochus maila : « INVITATION AU BAL DU JARDIN ». Il rit du plaisir promis, lança son bâton… Un bal blanc? Un bal noir? Un bal où plusieurs tissus chatoyants couvriront minois ou corps? Un bal musical? Tout sauf un bal bancal! Du foxtrot ou du swing par un jazz-band d’antan? Ou du rock bondissant pour un vrai corps à corps? Pourquoi pas un slow? Pourquoi pas java, cha-cha-cha ou tango musical, pas à pas, plus ou moins loin d’autrui? Du rap, un truc groovy, rococo, hallucinant… où nos bas instincts s’assouviront sans fin! «Oui, dit Yorik, party!!!»

Au micro : Alain Bashung chantant Bijou Bijou pour adoucir la mort. Oui, Bijou Bijou, incursion dans la fiction. Yorik, connaissant Lora, l’imaginait dansant aux bruits vifs d’un attirail clinquant, son bassin ondulant sur un tango lascif. Cristal, rubis, diamants, or, fards scintillants, tissus chatoyants glissant sur sa chair. Tout pour ravir son moral, provoquant un choc subit dans son froc. Mal, il avait mal, sa libido furibondant pour la plus… la si… la tant… Soupirs… aucun mot pour pourvoir à son adulation. Non! Au bal, il confondrait sa passion, plus jamais un pantin ni un couard, mais Mars ou Pluton ou Apollon ou tous unis pour lui.

Son imagination agit aussitôt,  suscitant moult visions, confusions, contorsions. Catharsis sans fin pour sortir d’autant d’inhibitions. Bal, ballon, vallon, allons là où il faut, au bout du pour-soi, « Là-bas » aurait dit Huysmans. Pour s’accomplir jusqu’au bout, Yorik sait qu’il faut auparavant fournir à son corps l’option d’un plaisir d’abandon hors du commun. Fantasmant tout son soûl, il usa d’un tranquillisant abolissant l’opposition pour s’unir à sa vision. Tout un boucan pour un gars tout nu! Nos os garnis d’un corps vagabond, chaloupant toujours au bal du jardin, dans l’hallucination du chant. Nu, uni à sa passion qui lui disait: «Va là-bas, fais un saut dans l’inconnu». Uni à l’os jusqu’à l’infini.

Ni vu, ni connu, il savoura tout : tantra jusqu’à plus soif ou abandon jusqu’à unir moult paradis. Corps suants. Illusion ou imbroglio jouissif impliquant un bal ou un lupanar? Sans Lora, donc sans amour, il confondrait bal-lupanar : à quoi bon un pays ahuri dans un froufrou sans chair? Pourquoi pas saisir au vol tout cotillon du bal : voix d’un amour qui poudroyait? Pourquoi pas un tourbillon floconnant poudrant son pif? Opium? Poison bio ou truc d’un toxico accro? Un trip plutôt vain, si faux, sans fin, sans solution pour sortir Lora du trou abyssal : l’oubli, la mort…

Tirant sur son joint, Hashischin convaincu, il n’ouït pas un klaxon flicard : woo-woo criard annonçant la prison pour avoir cru aux propos d’un gourou trop charmant. À voir ton mur, t‘as pas d’amis! «Qui sont-ils tous alors?» lui susurra Satan. Murmurant mantras puis sutras, il prit un taxi à l’instant, fixa RV sur FB par iPad, poursuivit sa saga.

By Douglas J. McLaughlin (Own work) [<a href=Vagabond un jour, vagabond toujours, Yorik prit l’avion pour un nirvana au Bhoutan, ni plus ni moins! Il voulait voir loin, il voulait saisir la signification d’un dharma sur un roc surplombant Phobjika où un lama puissant lançait son crachat aux Tintins vagabonds. Attractions : un mont si pur, un matin blanc, un rai d’oubli! Yorik voulait nourrir son inspiration aux 4 attributs du BNB voulant garantir sa satisfaction. Un lama bouddha au grand pouvoir (mais lama animal  dans son incarnation d’avant) lui dit : «ÔM badzrasatwa AUM», invocation à l’incantation combattant la corruption. Himalaya tu iras. Là où tout apparaîtra, où tout luira pour ton futur sans Lora.

Au faît du mont Himalaya planait un albatros albinos aux flancs grisonnants car il y vivait avant qu’un Cro-Magnon naquît. Un albatros montagnard! L’oxymoron conduirait-il au nirvana? Il y avait aussi là-haut  choucas inactifs, condors proactifs, crocus charnus, chardons pointus. Il aurait pu y avoir alligators oisifs, lions fringants… Hallucinait-il, l’air manquant lui coupant la raison? Il soupira : «Grand lama sur l’Himalaya, dis-moi…» Tout à coup, son sang stoppa son sprint jusqu’à son caillou tondu. Il tomba sans bruit. Mais avant, dans un soupir, il dit : «Lama, Ô Lama, dic, dic si abyssus abyssum invocat»

Pourtant, Yorik avait à sa disposition un pouvoir d’invocation par dralas: glorification du lungta. Dralas, Lungta, Dharma, Karma, tout ça oui, mais trop pour lui sur un sol si dur. Un froid glacial prit cours accroissant son inconfort. Il faillit mourir mais un sang gicla, surgit un chant: « au Mont sans souci« , aurait dit Murat, troubadour français magnifiant son Massif à volcans. Dormir ou mourir au Mont Sans Souci, mots d’amour circonscrits d’infini. Vibrations du corps dans un cosmos favorisant la procrastination : mais action ou raison, il fallait choisir, sans plus moisir. Tripatouillant son caillou tondu, Yorik fronça un sourcil. Un choix? Lui, l’idiot, l’abruti, il lui fallait choisir? Zut! Un cri fracassant l’air l’arracha à son travail d’abstraction. Surpris dans son coma, il vit autour un yack fou ruminant sans raison tous nos chagrins sanglants, tous nos chardons poisons. Phobjika mon amour! Qu’avait-il vu dans l’Himalaya? Nada!! Sinon un zoo d’hallucinations.

Un instant, il fixa, hagard, un col au loin puis, suivant un rayon d’or qui s’abaissait du plafond, il prit son bâton. Du col, un bourg lui apparut : la civilisation! Aux abords du bourg, assis sur un tapis, un humain faisait du yoga marmonnant : « RummRumm». Yorik lui dit :«Hola, l’ami… Tu as un nom?» Karam, marmonna-t-il. Un hasard ou la foi qui accroît son taux d’intuition? Il sait, oui il sait : David… David, un avatar, transmigration à l’horizon nominal, chaînon manquant aux vivants ou au morts. Fallait-il du miroir un bris? Toujours confus, Yorik tapa sur son iPad un mot : David! Un robot du 2.0 riposta : David, minus au futur royal, catapulta Goliath. Goliath ou hallucination qui finissait par mourir, car Yorik supportait moins l’absolu du fuir par l’oubli d’amour. Alors il prit un airbus pour Paris-Orly. Dans l’avion, Yorik composa un haïku : « Cumulus si blancs / Font un plafond d’angora : / À quoi bon nos murs? »

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Voici, par ordre d’implication, la liste des personnes qui ont participé à la cocréation de ce deuxième volet du Twitteroman sans E :

@nathcouz @jmlebaut @AndreRoux @Aurise @LiseLePailleur @JeanDore @kiwibruissant @sstasse @georgesgermain
Pour participer au prochain volet du Twitteroman sans E, utiliser le croisillon #romansansE

 

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Quelques réflexions liminaires

Le premier chapitre du #romansansE est dûment complété et déjà publié ci-dessous. Le second chapitre  avance fort bien : il sera effectivement publié sur ce blogue dans Écrits collectifs dimanche prochain, soit le 20 mars 2011. Jusqu’à présent, 11 personnes ont activement collaboré à cette expérience, à la fois ludique et littéraire, des personnes de partout et de différents horizons professionnels.

J’avoue que je suis émerveillée par le niveau de conscience des intervenants collaborateurs, car ce n’est pas toujours évident de poursuivre dans la direction esquissée, de se faire contredire ou couper l’herbe sous le pied. Il semble plus facile parfois de compléter une phrase ou de profiter  d’une ouverture dans un champ thématique. J’ai observé beaucoup de respect et un effort concerté pour adhérer à la bonne marche du récit et non pour mousser sa propre individualité ou son talent manifeste. En effet, vous serez à même de constater que le récit provient du seul collage d’éléments qui  pouvaient, à prime abord, sembler disparates en raison de l’espacement des gazouillis pas nécessairement toujours inscrits en continuité sur le parchemin virtuel qu’est Twitter en raison d’interférences ponctuelles. Apprendre à concéder, à changer d’idée, à aller où l’on souhaitait pas nécessairement se rendre,  ces  actions mentales requièrent des habiletés psychosociales rarement  sollicitées à l’écrit. Dans ce roman collectif, l’anticipation apparaît constamment déjouée, la linéarité souvent tronquée. Les duos d’écrivains se concertent habituellement et les groupes de concepteurs ont généralement leur secrétaire ou porte-parole, mais ici? De purs inconnus, pour la plupart, expérimentent cette forme d’écriture collaborative et cumulative  qui, à l’instar d’un jeu, les réunit l’espace d’un moment pour les propulser également ailleurs où ils vont s’étonner a posteriori de l’étonnante synergie survenue. Souvent, quelques heures sont requises avant que ne surgisse un nouvel énoncé, alors qu’à d’autres moments les tweets  se bousculent follement à l’intérieur de quelques minutes.

 

Dernièrement, L’Institut de Twittérature Comparée (ITC) a officiellement reconnu l’intérêt de cette activité d’inspiration oulipienne. Je reprends avec  grand plaisir l’un des paragraphes du billet intitulé Twittérature, OULIPO et lipogramme, paru le 7 mars dernier,  et  qui circonscrit  magnifiquement les enjeux explorés : « La question que se pose chaque participant est la suivante: Jusqu’où le twittérateur suivant mènera-t-il le récit? Par quel prisme de lecture prolongera-t-il mon propre fragment? Jusqu’où m’obligera-t-il à revoir, à reconsidérer ma propre participation?» Ces questions insidieuses en amènent de nouvelles aussi bien circonscrites : «Est-ce que je m’implique à nouveau sur le fil? Je conteste la direction dans laquelle semble vouloir s’engager le récit ou je l’endosse? J’ajoute un détail? Je soustrais un détail? Je nie un dialogue en le réécrivant? Je réprimande un personnage? Je me mets à le détester au point de le faire disparaître? À moins que je n’invite des compagnons d’une imaginaire  fratrie à le rejoindre? Mais peut-être me  faudrait-il gonfler une énumération? Créer des bonds avant ou reculer sur la ligne  du temps? Ajouter une référence historique? Joindre une citation?…»

Le questionnement est sans fin et constitue une sorte de  vade mecum des possibles narratifs. En guise d’exemple, les deux derniers  gazouillis du chapitre déjà rédigé amènent les lecteurs à  constater avec surprise  le décès du personnage féminin Lora: Mon moi impuissant, qui a vu l’assaut d’animaux charognards qui provoqua ta mort. (Voilà ce que peut permettre d’induire un  simple mot comme TA!) et immédiatement  après  sa possible résurrection en raison du questionnement suscité: Mort-hallucination ou fiction-divagation?

D’emblée, il est facile de constater  que les deux twittérateurs  ne partageaient visiblement pas la même vision  et qu’ils  ont conféré au récit une ambiguité fort appréciable, permettant surtout  de le relancer. Il est vrai que la toute-puissance créatrice n’est jamais questionnée lorsqu’il s’agit d’une même instance décisionnelle, ce qui est loin d’être le cas ici puisque  survient à chaque instant une véritable résolution de problème.

La difficulté s’amplifie du fait que tous les mots utilisés doivent se caractériser par l’absence du E, la lettre la plus fréquemment utilisée en français. L’effort est par moments considérable. Le côté ludique adoucit l’exigence lipogrammatique difficile à tenir, car la contrainte est de taille et parfois lourde à assumer. Malgré la vigilance exercée par chacun, de très rares petits E, à peine 3 ou 4, ont réussi  malgré tout à s’immiscer, mais ils ont été  rapidement évincés à la relecture. Si vous consultez la ligne temporelle inversée, puisqu’on lit de bas en haut sur Twitter, vous constaterez qu’aucune autre altération n’a été faite, sauf peut-être l’ajout d’une ou deux virgules  et parfois de guillemets. En effet,  syntaxe et vocabulaire ont été respectés dans leur intégralité.

Si de légers glissements sémantiques peuvent néanmoins s’observer, il demeure toutefois possible de les légitimer dans une optique de dédoublement de personnalité ou en faisant appel au monologue intérieur justifiant les comportements erratiques d’un mental introspectif et omniprésent. Cela semble être le cas pour le personnage de David incidemment qui semble souffrir d’héautoscopie ou de dissociation à l’instar de certains personnages kafkaïens, puisqu’il est simultanément le personnage central du récit qui s’amalgame ensuite à un compagnon improbable.

Lors de cette première expérience, j’ai  effectué quelques constats. Quand j’ai senti que des collaborateurs s’éloignaient, j’ai éprouvé la nécessité de les solliciter de nouveau. De nombreuses personnes s’intéressent à l’expérience et la publicisent, mais n’osent pas encore  s’aventurer activement. Je les invite pourtant à oser se compromettre, ne fut-ce qu’une seule fois, pour au moins tenter cette expérience à fréquence  variable puisqu’il est possible tout autant  de formuler plusieurs  gazouillis à la suite que d’intervenir après de longs intervalles ou même de dialoguer en alternance. Bien entendu, c’est une course contre la montre par moments, puisqu’il importe de vérifier jusqu’à la dernière seconde la pertinence de son tweet dans le fil de l’action puisque plusieurs personnes peuvent décider d’intervenir en même temps. Je soupçonne d’ailleurs que bien des gazouillis sont demeurés en suspens faute de ne pas avoir été insérés assez rapidement pour demeurer appropriés.

Je me pose aussi des questions relativement à la fameuse nécessité du plan habituellement requis pour confectionner un récit. Ici, la démarche heuristique interdit toute forme de concertation  a priori, à plus forte raison une planification commune, et pourtant….Un récit émerge malgré tout que nul n’aurait pu prévoir. Je me questionne également sur la créativité requise versus l’inspiration avérée. Souvent, il devient impossible d’amener une idée puisque sa mise en mots comporterait des E que l’on souhaite proscrire. Alors, que faire? Partir de banques de mots  et voir  ce qu’ils nous inspirent? Je me promène désormais avec un petit carnet pour y noter les mots ou expressions sans E qui me viennent à l’esprit et non plus, comme à d’autres moments, pour y consigner des idées. Je suis persuadée  qu’elles sauront bien émerger avec le concours de tous. Je repense à  Claude Simon qui évoquait ces mots-pivots, ces mots qui entrouvrent des univers insoupçonnés. On ne dit pas toujours ce que l’on veut dire, mais souvent autre chose et c’est parfois mieux ainsi.

Enfin, je me rends compte du fait que l’écriture littéraire requiert ici  un travail lexical très élaboré (mots sans E, regroupements thématiques), de même qu’une syntaxe  quelque peu différente: il faut oublier le ET ou  le DE notamment,  considérer que  la conjugaison requiert  plutôt l’imparfait et le passé simple, reconnaître que le participe présent est davantage  utilisé. Par ailleurs, l’écriture repose  constamment sur la lecture et les relectures successives pour justifier les enchaînements : l’axe de lecture-écriture se resserre  inévitablement. De plus, la nécessité apparue de préciser certains référents culturels (écrivains, peintres, lieux….) a suscité l’insertion d’hyperliens qui verticalisent la lecture et font s’immiscer des textes courants au cœur d’un récit fictionnel : bel amalgame inattendu d’une complémentarité manifeste! Bien entendu, on aurait pu tout aussi bien préciser la signification de certains mots plus rares qui ont été retenus en raison de leur absence de E. Mais étant donné qu’il s’agit d’un écrit collectif, l’entreprise me semblait plus délicate et je n’y ai pas donné suite au moment de l’édition.

Comme le disait si bien Jean Ricardou à l’époque du nouveau roman, on assiste présentement non seulement à l’écriture d’une aventure mais également à l’aventure d’une écriture qui se définira et se déclinera en multiples nuances tout au long de chapitres au nombre indéterminé, tant que l’intérêt collectif se  manifestera. À vos claviers, donc, pour influencer et orienter la poursuite de ce récit bien particulier en raison d’arborescences encore insoupçonnées.

* Le premier chapitre de ce twitteroman est déjà disponible sur liseuse ou tablette. Il suffit de le télécharger.

Addendum 2011 03 20 Les deux premiers chapitres de ce twitteroman  sont déjà disponibles sur liseuse ou tablette. Il suffit de télécharger le document ci-dessous.
Addendum 2011 03 27 Les trois premiers chapitres de ce twitteroman  sont déjà disponibles sur liseuse ou tablette. Il suffit de télécharger l’un des documents ci-dessous.
Addendum 2011 04 03 Les quatre premiers chapitres de ce twitteroman  sont déjà disponibles sur liseuse ou tablette. Il suffit de télécharger l’un des documents ci-dessous.

Addendum 2011 04 03 Les cinq premiers chapitres de ce twitteroman  sont déjà disponibles sur liseuse ou tablette. Il suffit de télécharger l’un des documents ci-dessous.


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Twitteroman collectif et interactif sans E (1)


CHAPITRE 1- David (Semaine du 6 au 13 mars 2011)

Friand d’absolu, il voulut partir au loin pour s’affranchir d’un futur non motivant. Sans calcul aucun, il fracassa d’un coup son miroir aux illusions. Un instant plus tard, il abandonna tout. «Ça suffit!» lui lança David d’un ton tonitruant. Par la foi, il s’immisça dans l’instant, mais sans s’y voir pourtant. Son compagnon l’aida. « Sans toi, ni amour ni paix » lui dit-il. Il contourna pourtant la discussion, il partait. Alors il prit contact pour vrai : un paradis jaillit dans la nuit, sublimant son cri lancinant. Amis d’un jour, amis pour toujours? Il fit son choix : partir loin… Fuir là-bas fuir, aurait dit un fils d’Igitur.

Pour abolir tout hasard, il franchit un corridor d’hallucinations jusqu’à Sri, vision d’un littoral apparu dans sa nuit. David l’accompagna dans sa vision, dans son pari afin qu’il pût accomplir son souhait sans obstruction. Où vas-tu ainsi? Un lourd prix dans ton parcours pour l’oubli d’un amour sans fin. Balayant à grands traits un froid glacial, il lui lança aussitôt: « Pourquoi souris-tu ainsi? » Nous sourions toujours ainsi, surtout si nous voulons un amour s’appuyant sur un grand souci d’aspiration. David n’insista pas. Il soupira, s’adoucit aussitôt puis dormit plutôt ravi jusqu’au matin.

Alors surgit du brouillard un bouffon au rictus imposant. « Hallucination, hors moi » dit-il à l’affût pour sa disparition. À grands cris, s’affolant, sursautant, il imagina tout un roman. Il voulut savoir d’abord pourquoi… Oui, pourquoi un bouffon, iroquois, normand ou zoulou, s’acharnait-il sur son souci d’absolu? Ou plutôt : pourquoi Yorik balbutiant dans un roman d’amour qu’il aurait fallu si rond? Un marchand d’illusions surgissait d’un chaos parfois si lourd, produit par la mort du fils d’un voisin. À quoi bon souffrir d’un surplus d’information? Il fit la paix, jugula la mort, bouscula l’inspiration aux doigts d’azur puis saisit un crayon, croqua dans un album la vision qui hantait son imagination. Du fusain jaillit un portrait aux contours flous. Un cri ou un corps? Munch ou Bacon? In or out? Un portrait? Non, un corps… plus ou moins distinct : un bras, un cou… Non pas ça! Pas la mort qui boit son sang, mais la mort scrutant son chagrin ou s’approchant d’un air narquois. Du fusain noir gicla du sang rubis qui illumina l’horrifiant portrait. « Va au loin », dit David, « mon jour s’inscrira plus tard ».

Tout à coup, son iris fut surpris par un gros point rond mouvant qui fuyait sous sa main. Voilà pourquoi il n’osait plus sortir. Jadis, Yorik avait compris la signification du point qui l’angoissait au maximum. Il scruta un conduit par où sortit un son sourd, lourd, angoissant, osa franchir un trait fictif fait au sol puis s’immobilisa. Du trou noir sortit un cri plus distinct : «David, David, pourquoi as-tu fui si loin, mon amour? Ma voix parcourt maints corridors sans savoir où aboutir… » Saura-t-il un jour affranchir son tympan du bruit assourdissant ou du jargon confus insinuant son intoxication à l’amour fou? « Mon corps corrompu au point du jour fond dans l’oubli, abattu, las, sans horizon. » Ainsi parla la voix. David sourit: Lora! Il avait froid, il avait chaud, il frissonnait. Il s’accrochait… Il n’y croyait plus…Lora, Lora… Mois sans Lora, maison sans Lora, plaisir sans Lora, tant, si confus sans Lora, mais sa voix au bout du couloir sonnait la fin du chagrin. Un souhait si vain pour sortir  d’un carcan ambigu, d’un circuit obscur : Lora ou la fin d’un pouvoir sur lui. Si par la voix d’or surgit Lora, alors il doit sortir, nain fou, d’un amour tu. Ironisons: il faut souffrir dans sa chair pour sortir d’un chagrin improductif ou absorbant.  Il mit trois mois avant d’accomplir son karma. Puis, saisissant un micro, il improvisa un hip-hop, plagiant un air connu, qui disait: « Toi, toi, mon toit, toi, toi, mon tout, mon roi… » Mais il constata qu’il n’avait aucun public pour l’applaudir. « Pourri, nul », soupira-t-il. Ça suffit la minimisation! À partir d’aujourd’hui, il faut plutôt ouvrir ma chair à l’Art, l’Art vif qui fait fi d’où la passion conduit. Jouir parmi moult crobards issus d’imagination sans fin, affranchir mon amour inquilin.

Au matin, David prit un train pour Halifax. Il voulait à tout prix voir du pays. Au Canada, il y aurait, aspiration au blanc, un froid coupant: ô brisons là! Mais il n’y a pas qu’un froid saisissant, il y a surtout du blanc purifiant qui agit au plus profond du soi. Il y a aussi l’horizon clair, l’air frais, un port significatif au loin, un quai pour marins accomplis. Alors allons! Allons là où surgit un pli! Allons au lointain brûlant! Lointain brûlant, mais oui! Là où il avait connu Lora au Sud. Là où un cagnard carmin a fait son habitat loin d’un or blanc, transi. Allons au sud, d’où sont bannis froids glaciaux, saisons du nord, cristaux par milliards. Fuyons au chaud. Au sud, au nord pour fuir quoi? L’amour? La mort? Lora? La transformation du vivant  à s’unir à autrui sans compromis. Halifax ou Paracuru, un oasis glacial ou tropical: illusions? David pouvait-il sortir d’un palais qu’avait bâti la nuit? Palais ou prison? D’abord Halifax pour un tournant crucial, puis Paracuru pour la paix d’un paradis tropical inconnu au Brasil. Mais avant, David doit accomplir un combat abscons, afin d’avoir l’absolution d’Halifax. Un combat vital, subliminal, lui pardonnant à jamais son choix.   À coups d’oublis soignants, dans un parcours du combattant, il vit un choc traumatisant. Il faut sortir du soi pour voir plus clair. Sortir du moi pour pouvoir s’ouvrir aux humains qui sont tantôt originaux, tantôt communs, tantôt attirants, tantôt puants. Oui, il lui faut un fracas, un tsunami, un char d’un pays lointain labourant tout champ du chagrin!

Choisissant d’agir pour vrai, David travailla son plan, fixa son prochain pas. Un plan ça sort parfois du ciboulot pour finir dans l’oubli. Aussi, David nota tout sur son Ipad. D’un doigt, il tapa: A- Pardon aux vivants B- Salutation aux voyants. Illuminations d’Arthur Rimbaud? Alors partir pour Harar? Oui, Rimbaud à Harrar, sol africain aux palais biscornus où  l’on voit tant d’animaux charognards. Oups ! Un R à Harar……pas un duo. Il aurait mis RRRRRRRRR tant il rugit. Harar Jugol, ksar aux fortifications inspirant un mur à bâtir autour du moi. Combat… Pourquoi? Mauvais sang! À quoi bon un chant confus? Il irait à cran, loin du savoir croupissant, pour la saison au paradis ! Ça suffit, ça suffit. Lora, ô ma Lora… Ma solution? Courir jusqu’à toi. Mon moi impuissant, qui a vu l’assaut d’animaux charognards qui provoqua ta mort. Mort-hallucination ou fiction-divagation?

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Voici, par ordre d’implication, la liste des personnes qui ont participé à la cocréation de ce premier volet du Twitteroman sans E, une initiative de @Aurise

@Aurise • @AndreRoux • @Lectrices_City • @•LesMetiers_net @jmlebaut

@LiseLePailleur • @sstase • @nathcouz • @GilbertOlivier • @georgesgermain • @JF_Giguere

Pour participer au prochain volet du Twitteroman sans E, utiliser le croisillon #romansansE

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Pourquoi pas un twitteroman collectif?

Je vous  propose de renouveler l’exploit oulipien de Georges Perec qui a écrit La Disparition, un roman policier lipogrammatique de plus de 200 pages sans aucun E. Des prouesses d’ingéniosité pour occulter la lettre  la plus fréquente du français. Une contrainte manifeste pour interpeler sa propre créativité en ayant recours au dictionnaire à des fins de création et non de vérification comme c’est habituellement le cas.

Je vais commencer ce twitteroman en vous mettant au défi d’y participer afin qu’une réelle histoire émerge de ces explorations heuristiques articulées à partir de cette contrainte linguistique. Un roman collectif à facture imprévisible, aux embranchements aléatoires, qui porte en lui un éventail de possibles en raison des arborescences multiples à explorer, puis à gérer. J’entrevois l’intérêt des réactions continues prévisibles sur l’axe de lecture-écriture ainsi proposé. Pour enchaîner les propos, il importe nécessairement de  lire ce qui précède afin de miser sur une cohérence interne minimale pour viser la progression, de même que pour effectuer  la prise en compte des éléments antérieurs. Au fur et à mesure que le récit progressera, il faudra certes lire davantage en raison du nombre croissant anticipé de tweets (ou de gazouillis) à considérer.

Il s’agira inévitablement de faire le point à certains moments, du moins je le prévois.

Afin de participer quand bon vous semblera, il vous suffit de vous rendre sur Twitter à #romansansE et d’y déposer le fruit de votre labeur. Des commentaires relatifs à cette expérience collective pourront être également colligés ci-dessous. Je vous remercie d’envisager cette collaboration à haut risque, car on ne sait pas à l’avance qui voudra bien y participer, ni si cette entreprise s’avèrera intéressante a posteriori. Mais pourquoi ne pourrait-on pas miser sur l’énergie collective et conjuguer nos efforts dans une perspective essentiellement ludique?

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Envie de revisiter l’OuLiPo ?!

En regardant l’autre jour un vidéo clip de Jean-Yves Fréchette, le président et l’un des cofondateurs de l’Institut de Twittérature comparée (ITC), acheminé par @AndreRoux, j’ai eu subitement le goût de revisiter l’OuLiPo, cet Ouvroir de Littérature Potentielle né de la collaboration d’un mathématicien de génie, François Le Lionnais, et d’un écrivain innovateur, Raymond Queneau. Avec quelques collaborateurs, ils ont mis sur pied au cours des années ’60 un laboratoire de littérature expérimentale qui a inspiré, et inspire toujours, un grand nombre d’écrivains. Étant donné que l’OuLiPo a eu cinquante ans cette année, il me semble que c’est une belle occasion à saisir pour renouer avec les célèbres déclencheurs de créativité mis au point lors des  rencontres mensuelles de ce groupe de chercheurs-écrivains durant de nombreuses années. En effet les  contraintes artistiques volontaires   retenues (formelles, théoriques, plastiques, thématiques…) ont été dûment expérimentées et demeurent  encore utilisées sciemment en tant que puissants moteurs créatifs.

Par exemple, en guise de contrainte édifiée, rappelons le procédé oulipien S+7 qui consiste à remplacer systématiquement chacun des substantifs d’un texte par le 7e qui le suit dans un dictionnaire (devenu outil de prédilection pour la création). L’expérience  a notamment donné La cimaise et la fraction une fable hilarante de Raymond Queneau calquée sur La cigale et la fourmi. Parmi d’autres curiosités, rappelons un  livre plus connu de ce même auteur Exercices de style où le même événement insipide est raconté une centaine de fois dans autant de manières différentes. Je pense également à La Disparition de Georges Perec, un roman policier qui ne comporte aucun E, donc qui applique la contrainte du lipogramme comme source de créativité; un exercice de virtuosité remarquable puisqu’il s’agit de la lettre la plus fréquente de l’alphabet. On raconte qu’il aura fallu quatre ans à Pérec pour accomplir cet exploit alors qu’avec les ordinateurs modernes, le processus de sélection de mots aurait pu s’accélérer notablement. Dans la même optique, il y a aussi ce roman sans aucun verbe Le Train de Nulle Part écrit par Michel Dansel sous le pseudonyme de Michel Thaler. Je  me remémore  également  les nombreux romans d’Italo Calvino construits à partir de contraintes oulipiennes dont Si par une nuit d’hiver un voyageur… qui consiste en une juxtaposition de dix débuts de romans en autant de chapitres : au moment où l’on entre dans l’action, l’interruption survient et un autre roman voit le jour et cela tout au long de ce  livre bien particulier.

Pour entrevoir les immenses possibilités d’une écriture différente et même combinatoire, il suffit d’évoquer Cent mille milliards de poèmes (CMMP) qui fournit de la lecture pour deux-cents millions d’années en lisant vingt-quatre heures sur vingt-quatre avant d’épuiser toutes les combinaisons possibles de ces 14 sonnets canoniques disposés en languettes et comprenant des rimes et des structures  compatibles. « Parce que la forme est contraignante, l’idée jaillit plus intense ! » disait déjà Baudelaire, à propos de la forme sonnet, dans ses Petits poèmes en prose. Après cet exploit visuel, Raymond Queneau a  récidivé avec Un conte à votre façon qui a  inspiré toutes les formes d’interactivité produites depuis au plan combinatoire. Vous souvenez-vous notamment de ces livres interactifs extrêmement populaires au cours des années ’80 et ’90 dans le genre de Ces livres dont vous êtes le héros dont la structure arborescente permettait à chaque lecteur de construire sa propre version en fonction des choix  de solutions effectués à chacun des embranchements? André Roux y fait d’ailleurs allusion dans son dernier billet sur le blogue du Domaine des langues (DDL).

Si l’on tient compte de la place privilégiée qu’occupe le fragment à notre époque postmoderne marquée par la déconstruction, les collages, la coexistence d’éléments disparates, et cela dans tous les domaines artistiques, on peut constater l’intérêt manifeste de recourir aux procédés développés par l’OuLiPo. Déjà Paul Valéry entrevoyait l’usage de la contrainte pour stimuler la production artistique. En effet, il alléguait que « Les  œuvres à grandes contraintes exigent et engendrent la plus grande liberté d’esprit », donc favorisent le déploiement d’une créativité maximale et multidirectionnelle.

À l’heure de la nanolittérature déjà fortement insérée dans notre culture postmoderne déclinée sous le signe de l’urgence et de la multiplication ou de la juxtaposition de temps courts, pourquoi ne pas recourir à ces façons de faire éprouvées et porteuses de beaux moments littéraires en gestation? Il m’apparaît, en effet, que l’OuLiPo avec  ses contraintes systématisées est susceptible de supporter de tels élans créateurs en démocratisant l’accès à la littérature et en amenant les élèves à s’étonner eux-mêmes en  reculant  les limites de ce qu’ils croient possible en touchant au plaisir d’écrire jouxté à celui de se trouver bons.

Alors qu’en arts plastiques on fournit constamment aux élèves des matériaux pour créer, on relève trop souvent en classe de français de la prétendue inspiration. Pourtant, au secondaire, le programme de français contient des  familles de situations (p.89) qui rendent possibles ces investigations fascinantes : « Découvrir des univers littéraires en explorant des textes narratifs et poétiques » et « Expérimenter divers procédés d’écriture en élaborant des textes inspirés de repères culturels ». On me demande souvent comment susciter chez les élèves le plaisir d’écrire en les amenant à explorer l’univers des mots. Avec ses créations, re-créations et ses récréations verbales, sonores et visuelles, l’OuLiPo nous entraîne  avec ses dérives possibles et souhaitables vers  des ailleurs encore à explorer et à habiter. Pour ouvrir ou  alimenter un espace littéraire dans nos classes, pourquoi ne pas s’en inspirer ?

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Coquilles en délire *

Durant les situations de clavardage qui s’apparentent à une sorte d’oral scripturé,  il arrive  fréquemment que des  coquilles se glissent à l’intérieur de ces dialogues interactifs en temps réel. Lorsqu’ils ont recours à cette forme de  conversation écrite, les jeunes sont plus rusés que moi. En effet, ils écrivent la plupart du temps en texto, en ayant recours à de nombreux raccourcis, ce que je fais en de rares occasions seulement. Puisque je ne connais pas la clavigraphie, je fixe habituellement mon clavier plutôt que l’écran et malgré mes efforts,  des erreurs se glissent, car  mes doigts s’enfargent souvent.

Lorsque la conversation se produit  en différé,  aucun problème. Il me suffit alors de relire mon texte et de rectifier les mots au besoin, d’ajouter un accord absent ou de supprimer les lettres en trop. La situation m’apparaît nettement différente lorsque la conversation se déroule en direct. L’autre personne attend ma réplique afin de pouvoir y répondre. Pour ne pas la faire attendre, la touche « entrée » expédie parfois trop vivement mes énoncés conversationnels. Bien sûr, je peux toujours montrer après coup que j’ai perçu l’erreur produite et inscrire ensuite le mot correctement écrit en le détachant en relief de l’énoncé précédent. Il m’est aussi possible de m’excuser à l’avance pour les  fautes passées, présentes et à venir, amen. Dans un contexte où il est nécessaire d’écrire vite, je ne prends pas toujours le temps de me relire immédiatement. Parfois je me demande si je suis en train de devenir dysorthographique, puisque je commets plein de coquilles lorsque je passe plusieurs  heures chaque jour sur mon clavier en accélérant constamment ma vitesse de croisière. Pour me donner bonne conscience, je me dis qu’il y a eu plein de trouvailles littéraires grâce à ces fameuses coquilles!

L’essentiel n’est-il pas que l’autre comprenne le message envoyé ? C’est du moins  ce que prétendent les jeunes. Est-ce si important cette  conformité au code orthographique lors de certaines pratiques d’écriture-lecture? Par exemple, sur Twitter, la spontanéité semble  servir implicitement d’excuse à des  messages acheminés à partir d’un cellulaire, d’un iPad ou d’un ordi. Je constate chez les personnes que je suis sur ce réseau que les participes passés ne sont pas toujours accordés correctement, que  les accords pluriels demeurent parfois absents et que certains mots sont effectivement élidés. Bien sûr que je m’y accoutume et force  m’est de constater que je  ne suis plus aussi outrée par ces écarts qui ne nuisent en rien à la compréhension du message même s’ils égratignent mon  regard.

Ces expérimentations m’amènent à vivre une certaine forme d’humilité dans l’imperfection inévitable. Je connais des personnes qui préfèrent  recourir uniquement au Skype visuel et auditif pour éviter d’avoir à écrire  et  ressentir une forme de vulnérabilité ou une peur du jugement d’autrui dans cette forme d’écrits dialogiques sur Skype en mode tchat. Je lis également des blogues passionnants même s’ils sont truffés d’erreurs grammaticales et je m’en formalise de moins en moins puisque les enjeux ne sont pas sur ce plan. Les microstructures de surface sont faciles à repérer et il est trop facile de s’y accrocher, en perpétuant des jugements expéditifs sur la qualité des écrits. Je trouve qu’il est autrement plus difficile et problématique de constater les erreurs de cohérence, les enchaînements malhabiles, les reprises boîteuses ou  les conclusions intempestives.

Avec des amis très proches, je ne m’en formalise même plus: le plaisir de l’échange conversationnel écrit prime sur tout le reste. Il nous permet de nous  contacter vraiment et de vivre autre chose que sur le mode du langage oral. Conséquemment, puisque l’on écrit vite et, en prévision des écarts lexicaux ou syntaxiques inévitables,  on s’envoie des sacs virtuels de « s », de « e » et d’accents au cas où. On ne corrige-rectifie  que  si le mot demeure  incompréhensible à la relecture, sans se préoccuper plus qu’il ne faut des lettres ou des accents qui manquent ou qui figurent en trop.  On sait, de toute façon,  que l’on sait bien orthographier et que l’autre n’est pas en train d’évaluer la conformité de notre écrit. Ça au moins, c’est rassurant.

La question me semble ailleurs. Ne surestime-t-on pas la place de l’orthographe dans notre société comme valeur marchande et discriminatoire? Je ne veux pas dire par là que l’orthographe n’est pas importante. Bien sûr qu’elle l’est et le demeurera, notamment pour faciliter la vie des lecteurs qui autrement seraient bien embêtés face à des mots méconnaissables ou obligés de tout sonoriser pour créer du sens. Il suffit de lire des textes calqués sur l’oral pour se convaincre des difficultés de reconnaissance visuelle qui seraient alors inhérentes.

L’autre jour, je  survolais des manuscrits d’écrivains célèbres. La somme importante d’erreurs orthographiques m’a frappée. Même si l’on sait parfaitement orthographier, peut-on se prétendre  un écrivain pour autant? On sait bien que non, que l’échafaudage d’œuvres de fiction requiert un certain niveau de sophistication et relève parfois de la haute voltige.   Heureusement, direz-vous, qu’il existe  une armada de réviseurs linguistiques  compétents qui libèrent l’humanité de cette tâche bien ingrate quand on évolue dans des univers parallèles qu’il s’agit de rendre plausibles.

Bien sûr que l’orthographe demeure importante, mais elle ne suffit pas. À certains moments je pense même qu’elle importe  beaucoup moins.  Certes, on peut affirmer qu’il vaut mieux  relire plusieurs fois  son  texte lorsqu’il est destiné à être largement diffusé ou publié, alors que c’est un maquillage sans doute moins utile lorsque l’échange écrit se vit dans l’intimité d’un courriel ou d’une séance de clavardage.   Notons que c’est plus ou moins vrai de nos jours lorsqu’il est question de messages instantanés, rédigés à la hâte afin de réagir à un événement, partager les idées d’une conférence en cours ou  annoncer une nouvelle en primeur.  Sur le parchemin virtuel qu’est Twitter,  les messages qui s’y déroulent démontrent bien la coexistence harmonieuse du spontané et  du longuement mûri, du message personnel et de la citation d’auteur, de la réflexion pointue et de l’humour polisson….au-delà des coquilles qui se dissimulent dans les interstices des micro billets.

Notre société serait-elle, à ce point, en déficit de sens pour se complaire ainsi dans le superficiel  et l’illusoire ?

* Merci à Janie Caza qui m’a gracieusement offert ce titre qui tient de la métaphore culinaire dans la cuisine *pédagogique.
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La parole muselée

J’ai longuement repensé à ce que m’a dit @nathcouz, en novembre dernier, à propos de ces jeunes du secondaire qui n’osent s’exprimer en classe. Ils sont  plus d’une vingtaine dans une salle et on dirait qu’ils ne sont que cinq ou six, puisque ce sont toujours les mêmes qui osent  parler ouvertement ou participer activement. Ce phénomène semble apparent même dans les meilleures classes. Je  m’interroge au sujet  de ce retrait stratégique ou de ce mutisme délibéré : s’agit-il seulement de timidité apparente?

Bien sûr qu’il y a des jeunes qui monopolisent la parole et d’autres qu’il importe de solliciter, car leur silence devient sonore pour peu que l’on s’en aperçoive, et leur  non verbal est éloquent.  Quelques  raisons m’effleurent: ils s’ennuient peut-être, sans doute ont-ils d’autres préoccupations, mais  est-ce possible qu’ils aient peur? Peur du jugement d’autrui, peur d’avoir l’air fou, peur de faire rire d’eux, peur d’avoir l’air trop bons… Les hypothèses se multiplient à l’infini.

Je me souviens que Carl Rogers mentionnait dans « Le développement de la personne » les conditions externes et internes  propices à l’émergence et  au déploiement de la  créativité. Les conditions  externes s’appliquent, selon moi, à l’apprentissage vécu dans un contexte d’auto-socio-construction puisqu’il y relève la nécessité   d’établir en premier lieu un climat de liberté et de sécurité psychologiques :

1) un climat de liberté psychologique dans lequel la critique est suspendue, où l’évaluation extérieure est inexistante, où  il n’ y a pas de jugement constant, où l’entourage manifeste une réelle compréhension empathique, où la valeur de chaque personne est admise inconditionnellement ;

2) un climat de sécurité psychologique, c’est-à-dire un climat dans lequel on peut s’exprimer sans réserve et ressentir le droit de se sentir confus, d’avoir tort, d’avoir peur, où les tâtonnements sont encouragés, où l’erreur est acceptée, où l’expression de soi est suscitée, où l’on peut apprendre sans risques, explorer de nouvelles avenues et aller à la rencontre de soi et des autres sans avoir à se protéger constamment.

Pourtant, il y a des classes qui autorisent  tout cela et ça ne suffit pas. On peut se demander si la spécificité du groupe n’est pas alors déterminante et  si  sa constitution favorise l’expression de tous. La réponse  semble se calquer sur la vitalité même du groupe que les enseignants  perçoivent  intuitivement  lorsqu’ils font allusion à un groupe plus dynamique ou plus amorphe.

Bien qu’en psychosociologie, on analyse de tels phénomènes,  c’est surtout en  génagogie que l’on s’efforce de bien les comprendre.  À mon avis, il est intéressant de considérer un  groupe au-delà de la somme des individus qui le constituent, comme une entité vivante  autonome dotée d’un mode d’expression qui lui est propre. Voilà pourquoi j’aime tant  le modèle développé par Bouvard et Buisson que je trouve particulièrement éclairant  car il concerne n’importe quelle sorte de groupe, incluant les groupes-classes :

–       Au début de la constitution d’un groupe, tout le monde désire que cela fonctionne et y met du sien.

–       Puis, vient un moment où chacun désire affirmer sa différence et sa personnalité afin que tous puissent   constater  la richesse de leur apport et la nécessité de leur  présence.

–       Dès ce moment, des affinités émergent : les êtres se rapprochent ou s’éloignent.

–        Puis spontanément surviennent des sous-groupes plus ou moins  apparents qui  coexistent pacifiquement pour un  bon moment.

–        Cependant, à la longue surgit un phénomène  de prise de pouvoir symbolique qui note l’ascendant de certains sous-groupes ou même d’un seul. Les jeux d’influence sont alors manifestes.

–       C’est à ce moment critique et capital que doit intervenir un animateur de qualité faisant partie du groupe, idéalement l’enseignant. Et là, deux  choses peuvent survenir :

  • ou bien  la régulation réussit en terme d’intégration et le groupe se réunifie,
  • ou bien la régulation échoue et le sous-groupe le plus fort tente de coloniser les autres membres (les élèves en l’occurrence) et va même jusqu’à en expulser, à en rejeter, à en victimiser (symboliquement ou non).

Il me semble intéressant de considérer cette réalité groupale. Quelques questions surgissent : Y a-t-il des élèves qui assument un leadership évident (positif ou négatif)?  Quels sont ceux et celles qui  prennent  spontanément la parole et la monopolisent, qui ont toujours quelque-chose à dire ou qui terrorisent parfois leurs semblables en les confinant au silence?

Que se passe-t-il au juste quand on analyse le moindrement la configuration groupale? Souvent des relations se sont tissées au fil du temps puisque, dans certains milieux, les élèves demeurent ensemble année après année et pensent se connaître, se permettant des jugements intempestifs sur autrui et valorisant certains d’entre eux au détriment de d’autres.

Que faire alors? Je pense avec reconnaissance à Marshal Rosenberg, un disciple  de Carl Rogers, qui a développé un modèle de communication bienveillante (ou communication non violente CNV) et qui  a notamment écrit «Les mots sont des fenêtres (ou des murs)».

C’est en effet tout un défi que d’apprendre à échanger en prenant  soin des autres, en les invitant dans l’espace communicationnel qu’est la classe. Ce n’est pas évident d’accueillir chacun véritablement, d’interagir sans se sentir menacé, sans se sentir obligé d’ignorer ou d’écraser les autres pour s’affirmer. Heureusement, cela s’apprend et les stratégies socioaffectives permettent de soutenir avantageusement les apprentissages requérant des stratégies cognitives et métacognitives.

Si l’on souhaite contrer les jeux de pouvoir parfois subtils qui s’exercent en salle de classe et développer des relations saines exemptes de conflits en rompant avec des habitudes insatisfaisantes pour créer de nouvelles structures optimales, cela vaut sans doute la peine d’explorer de ce côté.

Peut-être pourra-t-on constater avec Philippe Perrenoud que même si la parole semble par moments muselée, par soi ou par autrui, il est possible de faire en sorte qu’elle  prenne son envol, pour peu que l’on devienne  conscient des enjeux et que l’on décide de s’engager dans cette voie qui n’a rien à voir avec la permissivité exacerbée, mais s’apparente davantage au respect des êtres humains  dans leur intégralité.

Si la communication véritable répond à  un besoin vital de se relier aux autres, pourquoi ne pas offrir une  écoute de qualité en guise de cadeau? Une écoute empathique qui suscite le dire de l’autre, en classe ou ailleurs, une écoute fortement interactive qui va de pair avec l’acceptation dans une communauté d’apprentissage. Pourquoi ne pas remplacer le plus possible  l’exposé oral monolithique et omniprésent dont l’appréhension inhibante a suscité bien des décrochages scolaires? Pourquoi ne pas multiplier également   les occasions d’échanges en duos ou en trios  pour instaurer davantage le plaisir de réfléchir et d’apprendre ensemble? En notre siècle où la communication semble aller de soi en raison de la multiplication des TIC, mais où l’on n’a jamais vécu en  Occident autant d’isolement selon Dominique Wolton, démocratiser la parole dans le cadre scolaire en la libérant  représente à mes yeux l’élimination d’une souffrance insidieuse dans une perspective salvatrice qui fait songer au cri de Munch.

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