Web 2.0, nanolittérature et OuLiPo : un trio gagnant en classe de français ?!


Monique, nous parleriez vous de Twittérature et Pédagogie ? Cette idée d’utiliser Twitter pour donner le goût du travail sur le langage et la langue à des étudiants, en lieu et place de considérer internet comme un lieu de perdition pour la jeunesse. Pourriez vous nous dire ce que vous pensez de twitter et de la twittérature ? Cette échange d’idées nous remettrait sur les rails. Nous parleriez vous de la manière dont vous concevez Twitter comme un outil créatif ? *

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Prise en compte de l’interactivité du Web 2.0

Selon moi, le  mouvement de la nanolittérature, même s’il n’est pas récent,   gagne à être revisité à notre époque en fonction de l’impact des nouvelles technologies. Je vois les Twittérateurs  en tant  que des scripteurs polyphoniques, puisque chacun peut y trouver  sa voie en plus d’y manifester une voix spécifique  qu’il peut décider ou non de conjuguer avec  celles des autres. Dans mon esprit, c’est l’interactivité du Web 2.0 qui entrouvre une multitude de possibilités,  selon la manière de l’aborder. Certes,  il est bien agréable d’écrire tout seul et de proposer à ses lecteurs le fruit de son labeur effectué ou en devenir. Mais expérimenter l’écriture à plusieurs, que l’on collabore à distance ou non, me semble correspondre à une valeur ajoutée,  surtout lorsque l’on apprend à écrire.

De la solitude des pratiques à la collaboration induite

Les pratiques actuelles que sont le tweet ou le twoosh (tweet parfait comportant exactement 140 caractères) peuvent constituer, par addition ou cumul des  gazouillis produits,  des écrits   plus substantiels comme des romans ou des récits factuels. Plusieurs auteurs se prévalent d’ailleurs de cette opportunité et il est bien agréable   pour le lecteur d’avoir accès au compte-gouttes à des oeuvres en élaboration, de plus ou moins grande envergure,   et qui semblent être en  train de s’écrire. On pourrait croire que cette  pratique réactualise les feuilletons d’une autre ère et que Balzac aujourd’hui écrirait sur cette plateforme.

J’ai moi-même  eu souvent recours à cette stratégie du cumul de tweets pour constituer des écrits longs sur le présent  blogue  (voir la rubrique des Écrits collectifs) à partir de plusieurs  défis successifs proposés à la communauté twitterienne,  donc qui s’inscrivaient plutôt   dans une perspective collaborative. À mon avis, le Web 2.0 m’apparaît induire dans le champ de l’écriture à l’école des horizons encore peu explorés si l’on souhaite prendre en compte la puissance de l’interactivité qui le caractérise.

Twittclasses et réseaux sociaux

La dimension  de l’écriture  interactive sur les réseaux sociaux demeure infiniment problématique. Actuellement,  les jeunes   y écrivent de manière fort assidue et ils n’ont effectivement jamais écrit autant hors des murs  de l’école. Cependant,  ces pratiques s’inscrivent généralement dans le cadre de leur vie privée et non pas  scolaire, sauf à de bien rares endroits où des Twittclasses  francophones existent. Évidemment,  il s’avère précieux, pour accroître la pertinence des apprentissages scolaires en français, que les élèves ressentent la  présence d’un constant lectorat  pour  générer le souci d’une orthographe conforme et la nécessité d’une syntaxe adéquate afin d’être lus plus facilement et mieux compris. Les jeunes qui sont des « natifs du numérique »   se trouvent véritablement  interpelés par le recours à des plateformes comme Twittexte, et les expériences menées par Jean-Yves Fréchette*** et l’enseignante Annie Côté de l’Institut de Twittérature comparée en témoignent déjà éloquemment. Malheureusement ces expériences demeurent pour l’instant encore trop marginales.

De Twitter à Facebook

Les  écrits sous forme de micro entités distinctes ou de fragments caractérisent les écrits produits sur Twitter. En recourant  à des #mots-clics, il est facile de diriger les tweets à rassembler ensuite avec  Storify qui les replace dans  une verticalité conforme. La Twittérature collaborative bénéficie grandement de ces  façons de faire. Qu’en est-il cependant pour Facebook ?

Après avoir  piloté  les 3 Word Story** actuellement, Strofka Méop expérimente, avec quelques personnes invitées et qui participent  sur une base volontaire Ce sont  des propositions qui m’apparaissent nettement innovatrices, car il a  judicieusement détourné    à des fins  d’écriture interactive et collaborative les espaces  réservés aux commentaires réguliers sur FB.  Il a créé plusieurs groupes d’écriture qui explorent parallèlement des lipogrammes  vocaliques, à savoir Lipkae, Lipolys, Lipoyes et Lipkao. À l’intérieur de chacun d’eux, il a d’ailleurs articulé un très grand nombre de  propositions visuelles et textuelles fournissant à l’esprit des ancrages thématiques (ex. oeuvres d’art, photographies, poèmes isocèles, phrases inductrices, clips vidéo, ready made) afin de cibler davantage  un travail sur la langue en raison  des contraintes  bivocaliques et trivocaliques  exigées. Il est en train, selon moi,  de donner indirectement un nouveau souffle à  la didactique de l’écriture   en  entrouvrant des horizons encore inexplorés  qui   me semblent susceptibles de  rejoindre davantage les jeunes de ce nouveau  siècle. En effet, l’objectif de l’école consiste, à l’égard de l’écrit, non seulement à faire acquérir les règles grammaticales dont la maîtrise est essentielle, mais également à développer des compétences scripturales de haut niveau, en développant de surcroît une sensibilité esthétique et  en faisant  en sorte que la langue devienne un puissant outil, non seulement  de communication, mais également pour exprimer toute sa créativité.

Avantages du  recours à l’OuLiPo

Depuis longtemps,  la didactique du français bénéficie des sciences contributoires et  plus précisément des propositions issues de  la théorie du langage, de la littérature et de la linguistique. Malheureusement, l’OuLiPo est relativement peu connu et il n’est donc pas encore devenu ce merveilleux ouvroir qu’il pourrait être dans les salles de classes du Québec  et d’ailleurs. Des transpositions didactiques restent à faire, à expérimenter et à valider. Le recours à des contraintes linguistiques (ex. lipogrammes, tautogrammes,…) nécessite une centration sur la langue qui ne peut  que servir la didactique de l’écriture et susciter l’utilisation constante de ces outils en ligne que Strofka Méop appelle si justement des « béquilles textuelles » (ex. dictionnaires de synonymes, listes alphabétiques de mots) Puisque  la classe de  français vise notamment à outiller les élèves au plan du lexique et de la syntaxe, et  comme les empêchements relatifs aux contraintes  nécessitent des contournements, ces interdits ne peuvent que s’avérer salutaires et soutenir  le défi que représente pour  l’école une écriture désormais plus littéraire.

Par où commencer ?

Mais avant  de songer à des transpositions didactiques recevables, encore faut-il avoir soi-même exploré la nanolittérature jouxtée aux contraintes oulipiennes et surtout  à l’interactivité de certaines plateformes comme Twitter et Facebook. C’est dans cette optique que j’ai lancé au cours des deux dernières années un certain nombre de défis oulipiens en twittérature collaborative. La nouveauté consiste non pas dans ce recours à des défis d’inspiration oulipienne, mais plutôt dans   leur jonction avec les possibilités du Web2.0. En témoignent les  textes figurant dans la rubrique des Écrits collectifs de mon blogue Éclectico (ex. Twitteroman sans E Tourbillon, monovocalisme avec Effervescences, contrainte  du prisonnier avec Évasion, okapi avec Ludovic ). Tous ces textes proviennent de l’amalgame de tweets de nombreux participants du Québec et d’ailleurs (surtout de France), et leurs gazouillis rassemblés sous un mot-clic ont été recueillis à l’aide d’outils semblables à  Storify  avant de se retrouver illustrés sur mon blogue. Jusqu’à présent, ce ne sont pas des élèves, mais bien des internautes adultes qui ont relevé avec brio ces défis collaboratifs oulipiens, même si j’ai la naïveté de croire que certaines personnes ont tenté de les transposer  par la suite  en salle de  classe.

Si j’ai tenté d’esquisser des assises  théoriques pour  ces nouvelles pratiques rédactionnelles, ce fut principalement en prenant  appui sur la Textique de Ricardou (voir Textique et jeux textuels ). Il suffit de se référer à la rubrique des Explorations et découvertes (ex. Envie de revisiter l’OuLiPo?; Twittérature,  formes brèves et contraintes bénéfiques) de même qu’aux Réflexions et dérives formulées après avoir effectué des constats significatifs (ex. Quelques réflexions sur le monovocalisme apprivoisé; Scriptures, textures et tautogrammes; Retour sur l’expérience du twitteroman sans E).

L’exploration se poursuit

Je reconnais avoir délaissé  depuis quelques semaines Twitter pour explorer parallèlement les possibilités de Facebook en écrivant avec d’autres personnes dans les divers groupes d’écriture lipogrammatique créés par Strofka Méop (Lipkae, Lipolys, LipoyesLipkao). Cependant,  je maintiens mon intérêt pour Twitter et de nouveaux défis d’inspiration oulipienne seront proposés aux Twitternautes au cours des prochaines semaines. À la suite de mes expériences personnelle sur Twitter et Facebook, je constate encore plus l’importance de l’interactivité et l’intérêt manifeste des contraintes oulipiennes. La perspective du  recours à des déclencheurs  textuels, sonores et visuels entrouvre également pour les salles de classe des horizons thématiques qui ne peuvent que s’avérer inspirants.

À l’ère de la collaboration  et du travail coopératif à l’école, la mise en commun des ressources de chacun ne peut  que maximaliser le plaisir d’écrire (Voir à cet  égard l’entrevue accordée au Café pédagogique en avril 2012). Si, en nanolittérature, les textes contraints sont encore peu nombreux, ils le sont encore moins lorsqu’il s’agit d’écriture interactive et collaborative. Certes, Twitter  permet d’explorer cet  espace restreint et simultanément immense, mais Facebook  permet aussi d’entrevoir de nouvelles possibilités.

C’est à suivre…

*Réponse formulée à la demande de Lirina Bloom  et destinée en priorité au groupe de Twittérateurs sur Facebook.
**Voir mon billet consacré aux 3WS : Incursions facebouquiennes en…3 mots. (juillet 2011)
*** Lire les propos complémentaires de Jean-Yves Fréchette « Twittérature et pédagogie ».

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3 réponses à Web 2.0, nanolittérature et OuLiPo : un trio gagnant en classe de français ?!

  1. Lise Ouellet dit :

    Quelle belle proposition pédagogique même si elle semble loin des non-initiés. À lire le billet, j’ai l’impression que le plaisir croît avec l’usage. Pourrait-il y avoir des espaces d’expérimentation, pas trop difficiles, pour les non-initiés afin de pouvoir partager ces plaisirs « littéraires »? Pouvoir démystifier l’univers OLIPO…

  2. Michel Clément dit :

    C’est peut-être important de faire de l’exercice physique pour oxygéner son corps… Mais Dieu que c’est important et si agréable de faire de l’exercice intellectuel comme la lecture d’un tel texte pour oxygéner l’esprit et la créativité… Merci à Monique de nous proposer une synthèse d’une telle qualité…
    Et s’il est vrai que pour l’instant ce sont surtout des adultes « éveillés » qui s’adonnent à cette exploration, je crois que c’est le sort de tout chemin créatif qui creuse lentement ses sillons…
    Autour d’un café ou d’un verre de vin, deux adultes parlent d’un sujet et partagent leur passion…. Un de ceux-ci le lendemain, raconte sa découverte et son questionnement à une consoeur enseignante….. Et ça se retrouve dans la salle des enseignants où le sujet prend lentement place…. Et pourquoi pas une direction d’école qui en entend parler et propose ce sujet comme discussion lors d’une journée pédagogique… On ne sait jamais, il faut faire confiance aux synchronicités de la vie….
    Le seul danger qui menace cette lente évolution de la pensée et sa patiente concrétisation, c’est l’arrivée d’un nouveau courant qui éveille les passions des
    « explorateurs » et qui inconsciemment relègue au passé ce qui était sur le point d’éclore…
    Espérons que ce ne sera point le sort de la Twittérature et de ses extensions sur Facebook

  3. Randy Nelson dit :

    Un exemple concret d’utilisation de Twitter en cours d’histoire À quel problème d’identité nationale la Belgique doit-elle faire face actuellement? Academie de Poitiers Lycée professionnel Doriole de La Rochelle. – Deux heures de cours : le groupe 1 (la moitié de la classe) sur la première heure, le groupe 2 sur la deuxième heure. – Chaque élève est devant un poste informatique et connecté à son compte Twitter propre. L’enseignante pose au groupe 1 une problématique : À quel problème d’identité nationale la Belgique doit-elle faire face actuellement? – Un hashtag est décidé pour que [l’enseignante puisse suivre de son poste] l’ensemble des tweets émis. – Le groupe 1 a pour consigne de faire des recherches pour créer une base documentée sur la question. Chaque information est tweetée et peut renvoyer par des liens à des documents plus complets (cartes, vidéos, etc.) Les élèves doivent être concis : leur production écrite est rédigée dans une visée informative. Il ne doit pas y avoir de redondance avec les tweets des autres élèves. L’ensemble de leurs tweets forme un agrégat d’informations et non une superposition. Le travail est partagé, communautaire et doit servir au groupe 2 qui travaille ensuite. – Chaque élève du groupe 2 est devant son poste et reprend l’ensemble de la base documentaire produite par le groupe 1. Il s’en sert pour rédiger un texte qui répond à la problématique posée. Ces synthèses seront mutualisées et diffusées après correction à l’ensemble de la classe. Le groupe 2 tweete au groupe 1 les informations qu’il n’a pas trouvées dans la base documentaire.

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